À quoi ressemble le combat pour les droits des migrants dans l’Italie de Matteo Salvini ?

Pendant des semaines, j’ai été le seul maire d’Italie à refuser d’appliquer la loi Salvini. Je pense que cette loi ne respecte pas notre Constitution : on ne peut pas décréter du jour au lendemain qu’un être humain qui se trouvait légalement à Palerme est devenu clandestin. 

J’ai donc accordé plus de deux cents résidences officielles à des migrants. L’un d’eux a déclaré dans un journal : « Je remercie le maire, grâce à lui je peux enfin payer des impôts, travailler légalement et louer un logement décent. » Car cette loi Salvini encourage la criminalité ! Si une femme refuse de se prostituer, par exemple, n’importe qui peut la dénoncer comme étrangère, et elle sera renvoyée au Nigeria ou ailleurs. Vu l’histoire de notre pays, il est inacceptable d’avoir des lois inhumaines.

L’Europe vous a-t-elle soutenu dans ce combat au côté des migrants ?

La Commission européenne tient le bon discours sur la question des migrants, mais elle n’a pas les moyens de mener des actions. Du côté des États européens, en revanche, j’ai reçu quelques soutiens informels mais officiellement tout le monde a fermé les yeux. Face au fascisme et au nazisme, nos grands-parents pouvaient dire qu’ils ne savaient pas. Nous, nous ne pourrons pas. J’ignore si un second procès de Nuremberg se tiendra un jour devant une cour, mais il aura lieu dans les livres d’histoire.

Nous avons besoin du soutien des autres pays ! Il y a soixante-dix ans, des politiciens incroyables comme Adenauer et Schuman ont fait passer l’idée qu’on pouvait être unis au-delà des États. Il faut que cette idée continue à progresser. Comme Martin Luther King, j’ai un rêve, c’est que nous devenions vraiment une communauté. 

L’Union européenne vous avait-elle davantage soutenu lorsque vous luttiez contre la mafia ? 

Oui, quand j’étais au Parlement européen [de 1994 à 1999], l’Europe a beaucoup aidé contre la mafia. Aujourd’hui, elle n’agit pas assez contre les criminels qui se font de l’argent sur le dos des migrants. J’espère qu’un jour elle sera aussi combative contre les trafiquants d’êtres humains qu’elle l’a été contre la mafia.

Par exemple, l’Europe dit qu’elle accorde l’asile aux gens venant de Syrie, mais ne leur donne pas la possibilité de venir légalement. Ils doivent donc payer des criminels pour passer illégalement en Sicile. C’est un non-sens ! Comme de dire à quelqu’un : « Tu peux venir défendre ta propriété devant le tribunal, mais pour l’atteindre tu dois passer entre des rangs de mafieux. » 

À quoi ressemblerait l’Europe idéale sur cette question des migrants ?

Je veux abolir, au nom des droits humains, le concept de « migrants », et j’en appelle à l’Europe pour cela. Les migrants, peu importe où ils sont nés, sont des êtres humains ! L’humanité a réussi à abolir l’esclavage. De nombreux pays ont aboli la peine de mort. Un jour on mettra fin à ce concept de frontière. Ça n’a plus de sens de parquer les gens selon des groupes, alors qu’il n’y a qu’une seule humanité. J’espère que, dans le futur, l’Europe ne sera pas seulement l’Europe des banques, mais aussi celle des droits humains. 

En quoi l’Europe peut-elle contrer la montée des populismes ?

Nous avons actuellement en Italie un gouvernement dont le ministre de l’Intérieur ressemble à un jeune Mussolini. Mais je suis confiant : il ne deviendra jamais adulte. Pourquoi ? Parce qu’on a les Italiens, parce qu’on a le pape, mais aussi parce qu’on a l’Europe. Le jeune Mussolini ou le jeune Hitler n’avaient pas d’Europe face à eux. En Europe, personne n’est majoritaire : ni les Allemands, ni les juifs, ni les musulmans, ni les Français, ni les Italiens… C’est une union de minorités. Je suis convaincu que ce sont les droits de l’homme qui vont déterminer l’avenir de l’Europe. 

Pour la fête de l’Europe, le 9 mai, j’ai eu le plaisir de recevoir le ministre des Affaires étrangères allemand. Ça a beaucoup de sens qu’il ait décidé de passer cette journée à Palerme. Il y a quarante ans, la ville était connue comme la capitale de la mafia. Aujourd’hui nous l’avons déclarée « capitale des cultures » et des droits de l’homme : elle accueille les migrants à bras ouverts et c’est officiellement la ville la plus sûre d’Italie, en plus d’être l’une des plus touristiques. Auparavant nous répandions le terrible virus de la mafia, aujourd’hui nous devons propager celui du respect des droits de l’homme. 

 

Propos recueillis par HÉLÈNE SEINGIER

Vous avez aimé ? Partagez-le !