Depuis un demi-siècle, les gouvernements sociaux-démocrates ou conservateurs ont ostensiblement professé un credo européen. Pourtant, au moment même où le besoin en devient criant, les Européens n’ont pas de politique sociale et économique commune, pas de budget, pas non plus de politique étrangère, sans parler d’avoir une armée. Bref, les Européens ne disposent pas d’un État. Du fait de la diversité linguistique comme de la taille de l’Union, cet État ne pourrait être qu’une fédération décentralisée mais, avec son Parlement capable de voter l’impôt, disposant d’un budget pour mener des politiques communes, désignant un gouvernement, et apte à mener une politique étrangère unique. 

Il nous est demandé de croire que dans la dernière décennie les gouvernements français ont proposé une intégration plus poussée à laquelle l’Allemagne n’a pas répondu. Certes, nos gouvernements ont fait des propositions en faveur d’une intégration économique. Confrontés aux problèmes abyssaux du coût de leur politique étrangère et de la filière nucléaire, ils se verraient bien européaniser la note. Les gouvernements allemands, pas vraiment dupes, ont répondu en proposant d’européaniser la politique étrangère et de transformer le siège français au Conseil de sécurité en siège européen. Le message est clair : la contrepartie de l’union socio-économique, c’est l’union politique. Nos gouvernants se sont bien gardés de répondre. En 2000 déjà, quand l’Allemagne, par la voix de Joschka Fischer, avait proposé d’avancer vers une Europe fédérale, la France l’avait éconduite. Les gouvernements français restent attachés à la grandeur et à toute une série d’intérêts dans le domaine de l’armement ou dans la relation avec l’ancien empire colonial, la Françafrique. Cette préférence pour les chimères néo-impériales a empêché les élites françaises de se projeter dans un avenir européen. Pourtant, entre l’Europe et la Françafrique, il va un jour falloir choisir. L’historien sénégalais Cheikh Anta Diop l’avait perçu dès 1954 : l’Europe, écrivait-il, « se fera sans retard et sur des bases réellement démocratiques le jour où elle sera persuadée de la perte définitive de l’Afrique ; alors une fédération européenne apparaîtra comme l’unique solution à tous ceux qui, jusqu’alors, se demandaient ce que deviendrait leur pays sans ses colonies ». Mesurée à cette aune La République en marche ne se distingue pas fondamentalement du Rassemblement national ou de la France insoumise. Aucun de ces partis n’envisage sérieusement de former avec leurs voisins un État européen.

Désormais, des gouvernements autoritaires et chauvins dirigent de nombreux pays : Chine, États-Unis, Brésil, Turquie… La crise de la globalisation, loin d’affaiblir l’État, le renforce souvent de manière dangereuse pour les libertés publiques. Les individus désemparés – de tous niveaux sociaux – se tournent vers la seule forme d’organisation connue : les États-nations. L’Union européenne, faute de cohésion politique et culturelle, aura du mal à résister. Cette situation rappelle celle de la Suisse dans la première moitié du XIXe siècle : une confédération d’États qui se considéraient encore comme souverains. Souveraineté illusoire. La Suisse n’a trouvé sa survie que dans la constitution d’un État fédéral et d’une nation multilingue. Mutatis mutandis, le clivage qui détermine l’avenir des Européens est entre fédéralistes et confédéralistes. 

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