La réforme constitutionnelle adoptée par l’Assemblée populaire chinoise le 20 mars 2018 a potentiellement fait de Xi Jinping un président à vie. Dans un régime où le Parti communiste a vu son rôle dirigeant renforcé par son inscription dans la Constitution, le pouvoir réside dans le statut de secrétaire général, qui n’a jamais été limité. Xi Jinping occupe ces fonctions depuis 2012, et celles de président depuis mars 2013. Mais, symboliquement, l’officialisation du cumul indéfini des pouvoirs de dirigeant du Parti et de chef de l’État entérine le rôle du président Xi comme leader tout-puissant de la République populaire de Chine. 

En cinq ans, le président chinois a progressivement éliminé les garde-fous mis en place par Deng Xiaoping à partir des années 1980. Pour celui-ci, après les abus massifs de la Révolution culturelle et les dérives d’un culte de la personnalité exacerbé, la priorité était au redressement de la Chine et à l’institutionnalisation progressive du régime, qui passait par le principe de consensus et de direction collective. 

Pour Xi Jinping en revanche, l’objectif premier est la survie d’un régime confronté à des défis internes et externes majeurs. En Asie, les tensions stratégiques s’accumulent, en particulier dans la péninsule coréenne, et la politique menée par les États-Unis de Donald Trump tend à les aggraver. L’économie, qui a longtemps servi de socle de légitimité au régime, est également fragilisée par un ralentissement de la croissance, un taux d’inégalité très élevé qui freine la consommation des ménages, un endettement massif atteignant 260 % du PIB et des investissements moins efficaces. 

Dans ce contexte difficile, Xi Jinping a choisi de reprendre la main et de renforcer le contrôle idéologique. Né en 1953, le président chinois est le premier dirigeant « formé » à l’école de la Révolution culturelle. Il mobilise tous les moyens de la propagande pour défendre le pouvoir du régime.

La technologie a permis la mise en place d’un réseau très serré de surveillance de la population. Après une période de relative libéralisation, Internet est désormais totalement contrôlé, au risque de couper le régime de toute source d’information sur l’état réel de la société. En outre, une nouvelle commission de contrôle, sous l’autorité du Parti communiste, a été instituée pour élargir encore davantage la lutte contre la corruption.

La croissance économique demeure un objectif important pour un système qui a bâti son pouvoir de séduction sur une image de méritocratie autoritaire mais efficace. Cependant, tout ce qui pourrait entraîner l’émergence d’une société civile autonome est remis en cause au profit du secteur d’État.

Le nationalisme, adossé à un rejet des valeurs dites « occidentales », est le deuxième instrument de légitimité du pouvoir. Il s’appuie sur un retour à la suprématie de la Chine dans sa région et dans le monde, avec le projet phare de « nouvelles routes de la soie », un projet boosté par les investissements, mais dont l’importance doit toutefois être relativisée. Le développement des capacités militaires, avec un budget qui atteint 175 milliards de dollars en 2018, doit contribuer à faire de la Chine « une grande nation socialiste moderne riche et puissante ». La tentation aventuriste, en mer de Chine du Sud, face au Japon, ou à Taïwan au nom de la « réunification de la patrie » est très réelle. 

Enfin, en entérinant le retour du gouvernement par la peur, avec les campagnes de lutte contre la corruption qui remettent en cause la protection tacite accordée aux plus hauts dirigeants du Parti communiste après leur retrait politique, Xi Jinping s’est lui-même mis en danger – c’est une des raisons qui le poussent à ne pas se retirer. 

Mais derrière cette affirmation de puissance, le sentiment qui l’emporte c’est que la période d’opportunité qui s’ouvrait à la Chine est en train de se refermer. Alors que les adaptations futures nécessitent des réformes profondes, le choix a été fait de ne pas toucher à ce qui pourrait accélérer ou précipiter un changement de régime. Si les trente premières années des réformes amorcées par Deng Xiaoping se sont avérées relativement faciles, en grande partie grâce au phénomène de globalisation massif dont la République populaire a bénéficié depuis 1979, les contradictions sont aujourd’hui beaucoup plus difficiles à résoudre face à des partenaires inquiets devant l’émergence d’une puissance chinoise qui refuse de s’intégrer au système international sur la base des valeurs libérales et démocratiques. 

Confronté à des défis complexes, Xi Jinping peut désormais choisir le retour en arrière et l’abandon du mythe de l’ouverture progressive. Mais pour Pékin le danger est aussi celui d’une absence de soupape de sécurité – en dehors d’une migration importante – et de moyens d’expression qui permettent aux interrogations et aux frustrations de la population de se faire entendre. 

Le « contrat social » de la stabilité – fondée sur l’absence de droits politiques – et de la croissance reste attractif pour ceux qui peuvent en bénéficier à plein. Outre les membres des classes dirigeantes et du Parti, c’était le cas de la population urbaine « officielle » qui a grossi et continue de grossir les rangs des classes moyennes émergentes. Mais alors que la redistribution des richesses – en l’absence de toute couverture sociale – est plus difficile en raison du ralentissement de la croissance, les attentes à l’égard du régime se font aussi plus pressantes.

À cette inquiétude s’ajoute un mécontentement croissant devant la dégradation des conditions environnementales et une absence de confiance réelle dans la classe dirigeante en dépit des campagnes destinées à redynamiser les valeurs du socialisme « au service du peuple ». Et les craintes suscitées par cette lutte qui peut toucher tout le monde pèsent un peu plus sur l’adhésion au régime.

L’argument du nationalisme, de la revanche sur l’histoire, porte dans la mesure où il n’implique pas une prise de risque trop importante, qui pourrait déboucher sur un engagement dangereux, particulièrement face aux États-Unis. 

Le soutien dont bénéficie Xi Jinping est donc fragile, et très conditionnel. Au sein même du Parti communiste, la grogne est présente. Le président se donne pour horizon 2049, centième anniversaire de la fondation de la République populaire. Mais, en dépit du rêve chinois de « grande renaissance », c’est la crainte de l’effondrement qui préside à toutes les décisions d’une puissance chinoise fragilisée. 

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