Sans doute est-ce l’esprit de contre-pied, mais je ne pense pas aux despotismes et autres dictatures sans avoir immédiatement présents à l’esprit celles et ceux qui leur résistent. Nuriye Gülmen et Semih Özakça, deux enseignants qui ont choisi la grève de la faim pour protester contre le limogeage arbitraire de 140 000 fonctionnaires et que le régime d’Erdogan a tenté de faire passer pour des complices de terroristes marxistes-léninistes après les avoir jetés en prison. Vida Movahed, qui n’a pas craint d’enlever son voile dans l’une des plus grandes avenues de Téhéran, à qui ce geste a valu un mois derrière les barreaux. L’internaute chinois Wu Gan, qui, pour avoir pris parti pour une femme ayant tué son violeur – un cadre du Parti communiste –, récolta en décembre dernier huit ans de prison, la plus sévère condamnation prononcée depuis 2016 mais aussi depuis l’annonce par le président Xi Jinping de « son opposition résolue à toute parole et action de nature à saper l’autorité du Parti communiste chinois ».

« Un héros, c’est quelqu’un qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas. » Je tiens cette définition signée Romain Rolland d’un homme, François Jacob, qui avait payé cher d’avoir fait ce qu’il avait pu en Tripolitaine et dans la deuxième DB. Si je l’interrogeais, c’était pour essayer de savoir, comme beaucoup de ceux qui comme moi sont nés après la guerre, quel aurait été mon comportement, si j’aurais eu du courage. Pas n’importe quel courage. Avec les années, on sait si on est ou non capable de courage moral. Mais le courage physique, on ne le prouve que dans l’action. Quoiqu’il n’aimât pas revenir sur le passé, j’avais demandé au compagnon de la Libération Jacob ce que c’était que cette vertu dont il avait tant fait preuve. « C’est comme le chagrin », me répondit-il. Et, comme il constatait mon incompréhension, il précisa : « ça vient par vagues. Personne n’est courageux du matin au soir. Mais lorsque la vague reflue chez l’un, elle afflue chez l’autre, on s’entraîne et, à la fin, tout le monde a été courageux. » Je fus reconnaissant au cher François Jacob d’avoir fait descendre cette vertu à un niveau accessible à tous, mais je ne trouvai pas le mystère éclairci.

Il ne l’est toujours pas et ma question reste posée. Elle est peuplée de ces « sentinelles oubliées » dont, avec Frédéric Rossif nous avions semé l’évocation tout au long de notre documentaire De Nuremberg à Nuremberg. Le général Louis-Eugène Faucher, chef de la mission militaire à Prague au moment de Munich, qui démissionna de l’armée française pour protester contre le lâchage de la Tchécoslovaquie, se mit à la disposition de l’armée tchèque avant d’entrer dans la Résistance en France et d’y connaître les prisons de la Gestapo. Mordechai Anielewicz, mort à 24 ans à la tête de l’insurrection du ghetto de Varsovie après avoir déclaré : « Nous ne nous battons pas pour la vie, mais pour le prix de la vie ; pas pour éviter la mort, mais pour choisir notre manière de mourir. » Hans et Sophie Scholl, décapités à 25 et 22 ans pour avoir distribué des tracts appelant les généraux à se rebeller contre Hitler. Jacques Bonsergent, fusillé pour avoir refusé de dénoncer celui de ses camarades qui, pris dans une rixe de bistro, avait frappé un soldat allemand. Et, au bout de cette chaîne, l’énigme prend le visage d’un lieutenant-colonel de gendarmerie, Arnaud Beltrame. 

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