La loi française permet-elle aujourd’hui de lutter contre les fausses nouvelles ? 

L’anglicisme fake news renvoie à l’idée d’informations erronées fabriquées pour tromper de manière intentionnelle leurs destinataires. On peut aussi parler tout simplement de désinformation. Cette notion est présente depuis très longtemps dans la loi française et de multiples manières. Par exemple en matière électorale, où la fausse nouvelle est sanctionnée lorsqu’elle a pour effet de détourner les suffrages (art. L97 du Code électoral). Ou encore en droit des marchés financiers, où celui qui répand une fausse nouvelle pour influer sur un marché boursier peut être sanctionné (manipulation de cours). Il existe enfin depuis plus de cent ans un délit spécifique dans la loi sur la liberté de la presse qui vise la fausse nouvelle qui troublerait la paix publique (art. 27 de la loi du 29 juillet 1881). Même si les fausses nouvelles ne sont pas un phénomène nouveau, cette disposition n’a toutefois presque jamais été utilisée, car seul le procureur de la République peut initier les poursuites, et dans la pratique il ne le fait jamais. On estime en effet que la victime, c’est la société dans son ensemble, et un simple citoyen ne peut donc invoquer directement cette disposition.

La loi française peut-elle être efficace face à un problème se déployant à l’échelle internationale ?

La question de la désinformation est très ancienne, et ce qu’il y a de véritablement nouveau depuis une dizaine d’années, ce ne sont pas les fausses nouvelles, mais leur support de diffusion, à savoir les réseaux sociaux couplés au saut technologique des téléphones portables. Les fausses nouvelles et les théories conspirationnistes sont entrées partout où se trouvent les téléphones, c’est-à-dire dans les bureaux, dans les cours d’écoles, dans les salles à manger. Combattre les fausses nouvelles en 2018, c’est donc avant tout améliorer le fonctionnement des réseaux sociaux et, à ce jour, ces réseaux ne sont pas domiciliés en France, en tout cas lorsqu’il s’agit de payer des impôts ou de répondre aux exigences de la loi. Cela complique grandement la tâche du législateur. À ma connaissance, aucun pays démocratique n’a aujourd’hui réussi à trouver une solution pour contraindre ces réseaux sociaux.

Vous avez participé à un certain nombre de discussions à la Commission européenne. Comment des groupes tels que Google et Facebook ont-ils réagi à vos questions ?

Notre génération a connu Google, Facebook, Twitter à une époque où ces sociétés étaient encore à taille humaine, n’étaient pas cotées en Bourse et se présentaient comme disruptives et porteuses d’un message progressiste et universaliste sur la liberté d’expression. Les temps ont bien changé : nous sommes aujourd’hui confrontés à d’immenses multinationales qui doivent satisfaire les marchés financiers et les annonceurs. Ces sociétés se sont aujourd’hui dotées de lobbyistes et de conseillers en relations publiques, qui sont souvent très talentueux mais délivrent un discours policé et entretiennent une certaine opacité. Google, Facebook et Twitter ne veulent rendre publics ni le fonctionnement de leurs algorithmes ni le détail de leurs revenus publicitaires. Ce sont pourtant des questions centrales lorsqu’on évoque la diffusion des fausses nouvelles. Combien Facebook gagne-t-il en revenus publicitaires lorsqu’une fausse nouvelle est relayée deux millions de fois sur son réseau ? Pourquoi la fausse nouvelle remonte-t-elle dans le flux lorsqu’un utilisateur écrit en commentaire que l’information est erronée ?

Que pensez-vous de la manière dont Emmanuel Macron souhaite s’attaquer aux fake news ?

Nous disposons de très peu d’informations à ce stade sur ce texte qui n’est pas encore disponible. Exiger une transparence accrue des réseaux sociaux semble par exemple une bonne idée, mais il faudra lire le texte pour savoir s’il ne s’agit pas d’un vœu pieux. La procédure annoncée pour saisir la justice de manière accélérée, le référé, existe par ailleurs déjà, et nous ne savons pas encore ce qu’elle aura de véritablement nouveau. Je doute de toute façon que la justice puisse à elle seule réguler les fausses nouvelles, ne serait-ce qu’en raison de leur volume qui ne peut être traité par les tribunaux. Il faudra en tout cas être très vigilant en matière de liberté d’expression et s’assurer que le pouvoir d’interdire soit confié à des juges et non à des administrations, pour éviter tout risque de censure.

Quelle serait, selon vous, la meilleure manière de lutter contre les fake news ?

Les solutions semblent avant tout venir de la société civile. De nombreux médias développent aujourd’hui des équipes et des outils de vérification des informations, de fact-checking. Des partenariats sont par ailleurs noués avec les réseaux sociaux, de telle sorte que ces derniers peuvent signaler que tel tiers de confiance a indiqué un contenu comme étant erroné. C’est par exemple le cas de CrossCheck, outil actuellement en phase de test, qui résulte d’un partenariat établi l’an passé entre Facebook et une vingtaine de médias (dont Le Monde). L’objectif est de mettre en garde contre un contenu signalé comme étant faux. La mise en œuvre d’une telle solution soulève toutefois deux questions. D’abord, le réseau social ne doit pas s’arroger un pouvoir de censure et supprimer les contenus signalés comme étant erronés (sauf les contenus manifestement illicites, car haineux ou racistes, par exemple). Ensuite les organisations de vérification des informations doivent rester indépendantes. Or on voit aujourd’hui que Facebook ou même Google disposent de différents programmes leur permettant de financer ces initiatives, ce qui n’est pas sain. La solution, enfin, c’est l’éducation. Le meilleur rempart contre les fausses nouvelles reste l’esprit critique du lecteur. 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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