Au début du présent siècle, Le Monde s’indigna de ce qu’une maison d’édition republie le journal que l’historien monarchiste d’Action française Jacques Bainville avait tenu pendant la guerre de 14. L’auteur de l’article jugeait indécent de traiter comme un simple écrivain un homme qui avait activement servi la collaboration avec l’Allemagne. Le quotidien du soir reçut force lettres disculpant Jacques Bainville, mort en février 1936. Le Monde condescendit à publier cette rectification, mais non sans l’accompagner d’un commentaire entre crochets. On y lisait que la mort avait sans doute retenu Bainville de sévir aux côtés des nazis, mais qu’à lire toute son œuvre, on ne pouvait que conjecturer qu’il aurait été un zélote de Vichy. Le premier article était une fausse nouvelle, un dérapage dû à une passion mal contrôlée. Le commentaire était une fake news, une fabrication malveillante, volontaire et éhontément infondée – Bainville, ancien dreyfusard, s’étant toujours montré très critique à l’égard de l’« énergumène » Hitler.

Les fake news ne remplacent pas les fausses nouvelles, elles s’y ajoutent et en marquent l’évolution contemporaine et informatique. On pourrait dire que ce sont des médisances, des calomnies ou des bobards, mais ce serait méconnaître la rapidité, l’ubiquité et l’efficacité de leur diffusion. On l’a vu avec les ingérences de la Russie dans la campagne électorale américaine de 2016 et dans celles que nous avons connues l’an dernier en France. Il semble que ce soit ce genre de falsifications auxquelles entend s’attaquer Emmanuel Macron, notamment dans la perspective des élections européennes de 2019. Un sondage assure que 79 % des Français approuvent les intentions de leur président, quoiqu’un tiers d’entre eux reconnaissent avoir diffusé ces informations controuvées.

Le pape François a annoncé que la Journée mondiale des communications sociales organisée chaque année par l’Église serait en 2018 consacrée à la lutte contre les fake news, mais celles qu’il vise sont le fait de journalistes, plus particulièrement de ceux qu’il accuse de « coprophilie », parce qu’ils recherchent ce qui fera le buzz (voire qui fera scandale) plutôt que la vérité. On ne saurait nier que cette tendance prospère, favorisée par les difficultés économiques et, surtout, par la servilité volontaire à l’égard des réseaux sociaux qui sévit dans nombre de rédactions. 

Certains – le FN et la France insoumise – voient dans la création d’un ordre des journalistes un remède à ce mal qui répand l’erreur. D’autres placent leurs espoirs dans de véritables médiateurs, aujourd’hui trop souvent utilisés par les rédactions comme des communicants dotés d’un faux-nez. Des journaux – Le Monde, par exemple – se sont dotés d’une importante cellule de vérification. Je croirais cette piste imparfaite mais plus raisonnable, plus efficace et plus conforme à la liberté d’informer. En 1981, la journaliste du Washington Post récompensée du Pulitzer pour son reportage bidon sur un junkie de 8 ans fut démasquée par ses propres confrères et dut rendre son prix et quitter la profession. En France, lorsqu’un journaliste fut convaincu d’avoir échangé des invitations dans son journal télévisé contre des avantages substantiels, il n’en continua pas moins d’interviewer le président de la République, d’arborer la Légion d’honneur et fut même proposé par le ministre de la Culture au grade de commandeur des Arts et Lettres. Le reste de la presse ferma les yeux. Pour paraphraser Boris Vian, y a quelque chose qui cloche là-dedans. 

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