Maël enfile un T-shirt blanc avec l’inscription : « Du nucléaire demain ? On en débat aujourd’hui. » Il saisit son crayon et l’un des questionnaires empilés sur la table de son stand. C’est un mercredi après-midi au Belvédère, un centre commercial de Dieppe comme on en fait dans toutes les périphéries des villes moyennes. Entre l’hypermarché et ses promos affichées en fluo, le vendeur de cigarettes électroniques et une enseigne de prêt-à-porter qui a mis la clé sous la porte, les passants ne sont pas trop pressés. C’est une sortie pour les familles. Pour Maël et ses collègues, il est facile de les arrêter. « C’était plus dur à la foire aux harengs », sourit l’un d’eux. Ils sont là pour récolter les avis des Français sur la relance d’un programme nucléaire. 

Ce débat, si électrique dans les arènes médiatiques et politiques, est beaucoup plus calme sous les néons criards du centre commercial normand. Bien sûr, il y a toujours des pro et des anti avec leurs arguments habituels. Mais il y a surtout pas mal d’indécision et de lacunes, et beaucoup d’indifférence. « Le nucléaire ? Pas d’avis, pas d’inquiétude, je m’en fiche », répond une jeune maman en berçant tranquillement son bébé dans la poussette. Maël retranscrit les propos de chacun mot à mot, ils seront versés au débat organisé pendant quatre mois par la Commission nationale du débat public (CNDP). Les parlementaires pourront notamment s’en saisir à l’occasion du vote de la loi de programmation énergie-climat qui doit être votée avant le 1er juillet et actera – ou non – la renaissance de l’atome en France. 

Au bout d’un quinquennat pourtant peu porté sur la question nucléaire, Emmanuel Macron a présenté une nouvelle feuille de route en février 2022 : construire six réacteurs de type EPR, en mettre huit autres à l’étude et prolonger les centrales existantes. Les deux premiers réacteurs seraient mis en service en 2035 à Penly, en Normandie, puis deux autres à Gravelines, dans le Nord, et deux dans la vallée du Rhône au cours des années qui suivent. 

« Tout ça, c’est déjà tout décidé, pourquoi vous nous demandez notre avis ? » lance une cliente du Belvédère. « Non, vous avez votre mot à dire. Il y a ce débat public, puis il y aura un débat parlementaire… » répond-on au stand de la CNDP. La dame fait des gros yeux, pas tout à fait convaincue quand même. « Bah ! Notez dans votre questionnaire qu’il faudrait déjà qu’on fasse fonctionner ce qui existe. »

 

L’année noire du nucléaire français

Depuis que les Russes ont coupé le gaz, l’Europe entière manque d’électricité et les Français ne sont pas épargnés. Nos centrales nucléaires nous avaient vendu le rêve d’une énergie abondante, indépendante, bon marché. Le réveil est brutal.

La production des centrales nucléaires – censée assurer environ les trois quarts de l’électricité nationale – se situe à un niveau historiquement bas. Tellement bas qu’elle place l’hiver sous l’épée de Damoclès des pénuries de courant. Il y a vingt ans, en 2002, le parc nucléaire français produisait 415 Twh d’énergie. Cette année, la barre des 300 n’a pas été atteinte (279 TWh selon les derniers chiffres d’EDF). Au sein de la filière, le seul chiffre qui gonfle n’est pas celui qui arrange : la dette de l’exploitant nucléaire français EDF est passée de 26,8 milliards en 2002 à 43 milliards en 2021, et pourrait atteindre 60 milliards en 2022, selon les dernières estimations. De quoi partir d’un mauvais pied dans les grandes aventures à venir : construire de nouvelles centrales mais aussi prolonger les anciennes, démanteler celles qui arrivent en fin de vie ou gérer les déchets nucléaires accumulés depuis le lancement du premier programme nucléaire. À l’heure où nous lui demandons de tenir ses promesses, le nucléaire déraille et une nouvelle question se pose : au-delà des idéologies, du pour ou contre le nucléaire, est-ce vraiment une option crédible ? Est-on capable de relancer la machine ? 

Les premiers symptômes de la crise ne datent pas d’aujourd’hui. Ce qui s’est passé en 2016 à la centrale de Paluel peut servir d’exemple. Les techniciens entament une opération de manutention délicate, ils doivent remplacer les générateurs de vapeur d’un réacteur. Problème : l’engin utilisé pour soulever la pièce n’est pas assez puissant… Il lâche, faisant chuter lourdement les machines sur le toit de la piscine du réacteur nucléaire. L’erreur est monumentale et à peine croyable. Pendant ce temps, à Flamanville, la construction d’un nouvel EPR tourne au cauchemar. Le béton n’est pas coulé dans les règles de l’art, la cuve du réacteur n’est pas aux normes, des dossiers de fabrication de certaines pièces ont été falsifiés, les soudures sont mal faites. Un ingénieur du chantier commente : « Pour les soudures, c’est typique : EDF n’avait plus la compétence en interne et a sous-traité le travail à Nordon qui n’avait plus l’habitude non plus. Et en plus, EDF s’est trompée dans le cahier des charges. » L’EPR de Flamanville devait coûter 3 milliards. La facture s’élève aujourd’hui à plus de 19 milliards selon les calculs de la Cour des comptes. Une augmentation de presque 600 %. Il devait entrer en fonction en 2012. Le chantier est toujours en co

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