Le débat sur le nucléaire prend aujourd’hui une tournure surréaliste, et profondément inquiétante.

Février 2022 : le président de la République annonce la prolongation de tous les réacteurs jusqu’à soixante ans et la construction de 6 à 14 réacteurs EPR2, voulus plus faciles à construire et plus performants. Les vœux de la filière sont exaucés. Jean-Bernard Lévy, président d’EDF à l’époque, avait affirmé en 2018 que de tels objectifs étaient nécessaires pour maintenir les compétences et ne pas sombrer.

Le même demandait pourtant en septembre un « plan Marshall » pour donner à la filière les moyens de cette ambition. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire avait utilisé ce terme, en mai, pour souligner qu’elle n’est actuellement pas en état de mettre en œuvre de façon sûre cette feuille de route.

Tout est bon pour soutenir un mythe aussi contraire à la réalité

Les difficultés sont sans précédent : dix ans de retard et 10 milliards d’euros de surcoût pour l’EPR de Flamanville, un parc nucléaire dont la productivité est d’un tiers inférieure à la normale en 2022 – menaçant lourdement la sécurité électrique cet hiver – et des problèmes techniques – retards, surcoûts, matières sans emploi qui s’accumulent.

Contre toute attente, cette fragilité aveuglante réactive les réflexes les plus archaïques : certains rejouent l’air du « tout-nucléaire, tout-électrique », prônant la relance à tout prix de l’atome plutôt que les énergies renouvelables, coupables « d’intermittence » et d’atteinte à la grandeur industrielle française.

Tout est bon pour soutenir un mythe aussi contraire à la réalité. Soumission des gouvernements aux injonctions écologistes, infiltration des agences publiques et des administrations par les antinucléaires, influence des puissances étrangères, la gamme du complotisme est riche pour réécrire l’histoire et exonérer la filière de sa responsabilité. Comme l’a fait Henri Proglio, autre ancien président d’EDF, en affirmant récemment sous serment que « l’obsession des Allemands depuis trente ans, c’est la désintégration d’EDF »…

L’éolien et le solaire ont dépassé en dix ans le niveau de production mondiale du nucléaire

Pourtant, ce sont pour l’essentiel les choix imposés par la filière qui sont en cause, depuis un rythme de construction initial trop élevé du parc existant jusqu’au report financier de son remplacement au profit d’une prolongation, en passant par les échecs proportionnels aux ambitions démesurées à l’international. Surtout, la filière refuse de voir un monde qui change : la fin de l’abondance, au cœur de ce que nous réserve l’avenir, et l’avènement des renouvelables dessinent une perspective où le nucléaire est au mieux accessoire.

Portés par des gains de performance qui les rendent aujourd’hui deux fois moins chers et trois fois plus rapides à déployer que de nouveaux réacteurs, l’éolien et le solaire ont dépassé en dix ans le niveau de production mondiale du nucléaire. Leur développement est exponentiel alors que ce dernier régresse. Ces énergies jouent dans les scénarios de neutralité carbone un rôle six à dix fois plus élevé en moyenne. Grâce aux innovations dans la flexibilité et le stockage, la possibilité d’un avenir 100 % renouvelables est même de plus en plus affirmée.

Derrière le déni pointe, autour d’un des plus puissants symboles de son modèle économique et social passé, l’incapacité de notre pays à le refonder. Portées par le mythe et la puissance publique, les annonces déboucheront peut-être sur des réalisations. Mais ce ne sera que trop mal, trop tard – après, au mieux, 2035 pour de nouveaux réacteurs – et surtout aux dépens d’actions plus conformes à l’urgence climatique, écologique et sociale. 

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