« Pour que la recomposition puisse avoir lieu, il faut d’abord que la décomposition aille à son terme », répétait à l’envi feu Raymond Barre. La décomposition est en marche, mais elle n’en est qu’à ses premiers pas et ces pas ne paraissent pas toujours bien assurés. Certes, il faut s’arrêter sur ce qu’ont réussi, au-delà de leurs scores, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. D’abord, à ramener à l’engagement politique une classe d’âge qui s’en tenait à distance et qui s’est lancée dans la campagne avec ferveur, avec fougue et avec allégresse. Mais que vont faire de cet engagement enthousiaste et ardent le fondateur d’En Marche ! et le leader de La France insoumise ? 

Jean-Luc Mélenchon, perdant acerbe et presque fielleux, se dédouanera-t-il du soupçon d’être ce genre homme pour qui les Espagnols ont un mot, ensismismado, « ensoimêmisé » : un politicien grisé par ses talents d’orateur, enivré par des sondages d’avant premier tour (il reproche pourtant l’usage qu’en fait cette « médiacratie » qu’il méprise) et vexé que les applaudissements ne se soient pas traduits en davantage de bulletins de vote ? Saura-t-il transformer l’élan qu’il a suscité en une formation politique capable de donner corps à son discours quelquefois équivoque – notamment sur l’Europe et la politique étrangère – mais nécessaire parce qu’en phase avec l’exaspération de tant de Français devant l’impudence et la cupidité de la nouvelle bourgeoisie ? Tout, dans le discours de Mélenchon dimanche soir et dans les arguties acrobatiques de ses représentants sur les plateaux de télévision lorsqu’on les interrogeait sur le second tour, laisse craindre que les insoumis sortent cocus de cette élection. 

Quant aux supporters du wunderkind Macron, ne seront-ils que de la chair à canon que sacrifiera un mélange de caciques venus des formations politiques en déroute et d’habiles carriéristes ayant tôt flairé le vent pour s’installer dans les meubles de la République et se partager les dépouilles du « système » ? Ou verront-ils leurs espérances, si violentes, ruinées par la désorganisation et l’incohérence si la difficulté à donner une orientation claire et partagée aux chevaux et aux alouettes que regroupe aujourd’hui leur mouvement n’est pas surmontée avant les élections législatives ? 

Autant j’avais été frappé, dès novembre, par la fermeté de l’engouement en faveur d’Emmanuel Macron, autant, ces dernières semaines, je l’ai été par les réserves exprimées par des personnes qui ne s’apprêtaient plus à voter pour lui que par défaut. Il faut en effet choisir entre Ricœur et Ruquier, entre Jeanne d’Arc et une matrone habile à cornaquer les peoples. Aujourd’hui où la victoire est presque acquise, ce choix de cohérence s’impose avec une particulière gravité. « Enfin, les difficultés commencent », avait déclaré l’ancien député socialiste Bracke-Desrousseaux à l’avènement du Front populaire. Celles que doit affronter ce jeune homme qui a su partir de rien pour arriver en tête de l’élection présidentielle sont innombrables et touffues. Les premières sont en lui-même et il lui faut vaincre sa victoire, ou du moins la dominer. Être élu demain non tant pour soi-même ou pour son programme que contre la représentante de toutes les régressions risque de faire oublier au vainqueur la relativité de son succès et, partant, la nécessité d’agir pour enraciner un mouvement pour qui la marche sera longue. 

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