La gauche a bien des raisons de pleurer cette élection perdue. C’est la troisième fois depuis 1969 qu’elle est absente du second tour, la seconde fois en quinze ans qu’elle vit le traumatisme de se voir à nouveau éliminée par l’extrême droite. Alors que la sidération et la résignation dominaient voici près de trois mois, elle peut être d’autant plus abattue qu’elle a caressé le fol espoir ces dernières semaines de voir Benoît Hamon, puis Jean-Luc Mélenchon en mesure de faire gagner ses couleurs après le 23 avril. Las pour elle, la soirée de dimanche a sonné le glas de cette ambition. Au regard de son score, ce premier tour historique a pour la gauche un goût de cendres, tant il s’est joué dans un mouchoir de poche. La défaite de Benoît Hamon, qui rappelle celle de Lionel Jospin le 21 avril 2002, constitue l’ultime soubresaut d’un PS en crise : le parti joue ces jours-ci son avenir. Son appareil partisan est aujourd’hui divisé et en ruine. Son électorat a été siphonné par Jean-Luc Mélenchon d’un côté et Emmanuel Macron de l’autre. Le PS est à court terme condamné soit à devenir une force supplétive d’En Marche !, soit à aspirer à une éventuelle reconfiguration. Difficile d’imaginer l’avenir de Benoît Hamon dans cette aventure après une campagne ratée, qui aura vu son propre parti conspirer à sa perte.

La campagne de Jean-Luc Mélenchon avait quant à elle ce dimanche des allures de chant du cygne. Même s’il a fait naître un véritable espoir à gauche, il paraît difficile pour lui d’imaginer, à 65 ans, d’incarner une alternative d’avenir. Injuste fin de parcours pour celui qui espérait devenir le dernier président de la Ve République. D’où le sentiment lunaire de son discours de défaite lors duquel, mâchoires serrées, il a refusé de donner une consigne de vote contre le FN. Sa déception peut être d’autant plus grande qu’il n’a pas démérité au terme d’une campagne flamboyante lors de laquelle il a tiré des leçons de 2012 et a gagné 2,5 millions de voix et 8 points par rapport à sa précédente candidature. 

Divisée, sans leader incontesté, la gauche est aujourd’hui en mauvaise posture. A-t-elle perdu pour autant toute raison d’espérer dans l’avenir ? Rien n’est moins sûr. D’abord, le total des voix de gauche a représenté plus de 25 % des suffrages exprimés, soit potentiellement la première force politique du pays. De quoi donner des regrets aux sympathisants qui souhaitaient l’alliance de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, dont les programmes témoignaient finalement d’orientations très similaires. Autre motif d’espérance, les deux candidats de gauche ont porté les principales innovations de la campagne, tant sur le fond – écologie, réflexion sur le travail, changement institutionnel et révolution démocratique – que dans la forme – plateformes citoyennes participatives, retour des intellectuels dans la campagne, hologrammes et meetings de rue. Ont émergé en un temps record une pensée, des thématiques et une méthode qui pourraient inspirer le renouveau de la gauche à long terme, portée par la conscience que la génération antérieure a perdu la bataille culturelle et soucieuse de remettre l’utopie au centre du projet politique. Cette démarche explique certainement la popularité des deux candidats auprès de la jeunesse, attirée par une radicalité porteuse d’espoir autant que de colère contre un système économique et politique dont elle se sent la grande oubliée. À ce titre, la campagne de 2017 aura semblé à gauche comme le double inversé de celle de François Hollande, qui parlait aux jeunes en 2012 en s’adressant à leurs parents. Sur le plan des valeurs, la percée de Jean-Luc Mélenchon et la faillite du PS témoignent surtout de l’incapacité de ce parti à porter une promesse de gauche. Après les départs immédiats vers En marche ! qui ont suivi la désignation de Benoît Hamon à la primaire, le transfert de voix vers Jean-Luc Mélenchon a moins constitué un rejet du candidat socialiste qu’un mouvement tactique vers celui qui, à gauche, semblait en mesure de l’emporter sur une plateforme quasi similaire. À court terme, l’analyse d’un échec de cette stratégie et de la division de la gauche donnera raison à Jean-qui-pleure. Mais l’électorat qui est né de cette campagne marque en réalité la résistance et le rajeunissement de la culture politique de la gauche dont les thématiques sont plus que jamais celles du monde qui vient. Celle d’un électorat qui refuse l’éternelle synthèse « d’ambition et de remords » (Gérard Grunberg et Alain Bergougnoux) qui caractérisait le Parti socialiste depuis sa refondation par François Mitterrand au congrès d’Épinay en 1971. La clarification qui a vu dimanche l’aile sociale-libérale rejoindre Emmanuel Macron peut être aussi perçue comme une libération par ceux qui souhaitent imaginer une gauche nouvelle, émancipée de l’ordre ancien et dans l’attente d’un monde à venir.

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