François Fillon Le déshonneur et la défaite
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Il n’y aura pas de quartier. Pas de pitié. Surtout dans son camp. Un jugement définitif. Pour paraphraser la célèbre formule de Winston Churchill après la signature des accords de Munich en 1938 : « Vous avez voulu la victoire au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et la défaite. » Malheur au vaincu ! C’est un long chemin de croix politique, judiciaire, médiatique qui attend désormais François Fillon. Sèchement éliminé à l’issue du premier tour de la présidentielle, il s’en va rejoindre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy au cimetière des éléphants de la droite. Vaincu pour avoir cru que l’on pouvait délivrer des leçons de morale sans soi-même les respecter. Plus que ses fautes, François Fillon a payé sa posture. Son « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » demeurera dans les annales de la politique. Brillante et meurtrière, sa formule aura fait quatre victimes : Nicolas Sarkozy et Alain Juppé en novembre dernier, lui-même ce 23 avril et la droite pour longtemps.
Il est des fins moins terribles. Celle-ci jette un voile noir sur une carrière longue déjà de trente-six ans. Longtemps François Fillon fut un second rôle, l’enfant sage et bien élevé de la droite. Jamais emporté, toujours mesuré, discret, nageant dans le sillage de mentors bienveillants. Entré en politique, ironie de l’histoire, comme assistant parlementaire du député gaulliste Joël Le Theule, il hérite de son fauteuil de député de la Sarthe en 1981. Il devient alors gaulliste social, soutien de Philippe Séguin. On se demande, d’ailleurs, ce qu’aurait dit ce maître ombrageux de son programme présidentiel tant imprégné de libéralisme ? À partir de 1995, il est de tous les gouvernements de droite : Balladur, Juppé, Raffarin. Mis sur la touche par Dominique de Villepin en 2005, il laisse entrevoir à la fois son amertume et son orgueil avec cette phrase assassine : « Quand on fera le bilan de Chirac, on ne se souviendra de rien, sauf de mes réformes. »
En une formule, le vrai Fillon montre pour la première fois le bout du nez. Malgré cet affront, il trace son chemin au milieu de la troupe de Nicolas Sarkozy en route pour la présidentielle de 2007. Il fait en même temps prospérer sa petite entreprise familiale arrimée à son siège de parlementaire. Cette pratique est, il est vrai, assez répandue à cette époque-là. De toute évidence, elle ne trouble pas sa conscience de catholique et sa morale personnelle. En 2013, se pliant à une loi sur la transparence dans la vie politique que, d’ailleurs, il ne vote pas, il met un terme à ces petits arrangements déclarés tout de même au fisc. Néanmoins, son épouse est recasée et lui-même crée une très profitable société de conseil.
Étrange faiblesse de la part de cet homme aux allures de clergyman. Mais, on le sait, l’habit ne fait pas le moine. Qui aurait imaginé, quand il fut nommé Premier ministre en mai 2007, qu’il finirait en guenilles le 23 avril 2017 ? Quand il entre à Matignon, il est populaire et commence sans doute à imaginer que le sommet élyséen sera un jour à portée de main. Même s’il s’en défend, il en rêve. Il n’est pas du genre, en tout cas, à se dévoiler. Nul ne peut dire qui est vraiment cet homme, sinon qu’il paraît prudent, mesuré, sage. En fait, il ne l’est pas. Sa passion automobile en est la preuve. On ne pilote pas des bolides sans audace. Personne, pourtant, ne s’en rend compte. N’incarne-t-il pas la modestie ? Jamais il n’avoue son seul objectif : franchir la Seine et passer de la rue de Varenne au faubourg Saint-Honoré.
Aux côtés de Nicolas Sarkozy, donc, il endure, souffre même, dès juillet 2008 d’un terrible mal au dos qui trahit son état de tension. Si son corps parle pour lui, sa parole reste prudente. Il se contient, se tait quand il est traité de simple « collaborateur », envisage un temps d’écrire un livre de rébellion, se ressaisit. Attendre, en rabattre, y compris quand il est certain d’avoir raison, par exemple lorsqu’il explique qu’il a hérité d’un État en faillite. Sarkozy l’engueule. Il encaisse, s’accroche et obtient de demeurer à son poste toute la durée du quinquennat. Il pense que ce capital gouvernemental lui sera utile le moment venu. Celui-ci survient avec la victoire de François Hollande. Sarkozy éliminé, à nous deux la droite, avant de dire à moi l’Élysée. Mais le temps des ennuis et des casseroles arrive très vite. C’est le fracas de sa guerre avec Jean-François Copé pour la présidence de l’UMP. Il en sort abîmé, presque éliminé car Sarkozy est de retour pour fonder Les Républicains. Obstiné, Fillon ne fait pas allégeance au revenant. Il en a décidé : les primaires de la droite seront son heure de vérité. Il s’y lance avec une certitude de l’emporter qui fait d’abord sourire. Il avance avec un projet radical qui peut faire peur. Et, à la surprise générale, il gagne. Il écrase même tous ses rivaux, contraints pour la première fois de s’incliner devant lui. L’Élysée me voila, pense-t-il. Et toute la droite espère avec lui. Elle tient son champion intègre pour reprendre ce pouvoir élyséen dont elle croit trop souvent qu’il lui est dû. Nul n’imagine alors qu’au-delà de son programme qui rappelle celui de François Guizot sous la monarchie de Juillet, il est aussi très proche de ce personnage que Victor Hugo massacra en une formule : « Il me fait l’effet d’une femme honnête qui tiendrait un bordel. »
Certes, face à la tempête que déclenche Le Canard enchaîné fin janvier avec le Penelope Gate, François Fillon affiche une force de caractère inouïe. Comment a-t-il pu résister ? Il se ronge les ongles mais s’accroche, il fléchit le samedi 4 mars, se ressaisit le dimanche 5 devant quelques dizaines de milliers de supporters rassemblés sur l’esplanade du Trocadéro. Il profite surtout de la tétanie de ses amis ou adversaires de droite. Aucun n’a le courage de l’arrêter une fois pour toutes. Sarkozy est tenté par deux fois d’aller demander son retrait devant les caméras de télévision mais il finit par renoncer. Alain Juppé voudrait qu’il vienne à Canossa – à Bordeaux –, mais se trompe sur l’orgueil qui permet à cet homme de rester debout. Tous ensemble, par aveuglement, lâcheté, vanité, le soutenant comme la corde soutient le pendu, fabriquent alors l’échec le plus dévastateur que la droite ait connu depuis 1958 : se faire sortir dès le premier tour de la présidentielle. Un fait sans précédent.
La droite de gouvernement a perdu des batailles mais, cette fois, le navire coule à pic. Le mouvement post-gaulliste est confronté à cette terrible réalité : il ne pèse guère plus de 25 % de l’électorat. Il n’a plus de réserves de voix pour franchir le premier tour lorsque des candidatures concurrentes le grignotent : une partie a rejoint Emmanuel Macron, une autre a soutenu Nicolas Dupont-Aignan, une dernière a rallié le Front national. Avec les affaires, François Fillon l’a définitivement plombé et envoyé par le fond. Car le pire est à venir. La droite est désormais sans chef légitime, représentée par un parti divisé et laminé. Elle risque donc de connaître lors des législatives de juin le même sort qu’en juin 1981 lorsque la vague rose, déclenchée par la victoire présidentielle de François Mitterrand, l’écrasa. Tout est à reconstruire dans le chaos de cette monarchie transformée en un conglomérat féodal : plus d’idées communes, plus de leader pour la conduire au niveau national, plus que des barons locaux à la tête de régions puissantes dont ils vont faire des forteresses personnelles, chaque petit chef rêvant de devenir le nouveau patron. Après ce K.-O. de François Fillon, le temps des querelles arrive qui laisse sans doute pour longtemps tout l’espace de l’opposition à l’extrême droite.
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