Parthénope était une sirène, celle des trois (ou deux, ou quatre, allez savoir !) qui avait « un visage de jeune fille », nonobstant ses ailes et ses pattes griffues. Ulysse s’était fait attacher au mât de son navire pour jouir de son chant pendant que ses marins, oreilles bouchées à la cire, ramaient devant les enchanteresses cannibales – car après avoir naufragé les bateaux, elles croquaient les corps, les gredines. Ulysse l’ayant dédaignée, Parthénope se jeta dans la mer à l’endroit où, plus tard, se dressa la ville de Parthénope, devenue Naples. 

Voilà pourquoi, fidèle à la mythologie homérique, le général Championnet baptisa en janvier 1799 « République parthénopéenne », sœur de la République française, la capitale du royaume de Naples qu’il venait d’arracher aux Bourbons, ou plutôt, à la Bourbonne Marie-Caroline de Naples, sœur de Marie-Antoinette. Archiduchesse guillotinée contre généraux de la liberté !  Soutenus par les Napolitains éclairés de toutes classes sociales, les troupes républicaines entrèrent dans la ville au son d’un hymne de Cimarosa antimonarchiste. Les Bourbons avaient fui, l’amiral Nelson avait été battu, et les Parthénopéens parèrent au plus pressé : diviser le royaume de Naples en départements, cantons et municipalités. Onze d’abord, puis dix-sept, puis treize, batailles d’amendements, frondeurs, embrouillaminis… La République parthénopéenne dura exactement cinq mois, jusqu’en juin 1799. La répression de la Bourbonne fut féroce ; les derniers chiffres indiquent 120 000 morts. 

Ardent garibaldien, ayant contribué en carabines pour l’expédition des Mille, Alexandre Dumas fut nommé en 1860 directeur des fouilles de Pompéi par Garibaldi en personne et vécut à Naples suffisamment pour écrire La San Felice, superbe roman « à la gloire du patriotisme républicain et à la honte de la tyrannie bourbonnienne ». L’héroïne, Luisa, épouse de San Felice, un vieil homme tolérant, s’éprend d’un agent à la solde des Français. Pour conforter la victoire française et se vanter d’un miracle, Championnet oblige le clergé napolitain à faire couler le sang de saint Janvier contenu dans la sainte petite fiole, cependant que Luisa devient l’icône de la jeune république. Cela ne dure pas. Le cardinal Ruffo, nommé lieutenant général par le roi en exil, recrute des bandits et forme une « Armée de la sainte Foi » qui ramène les Bourbons.  Les républicaines payent le prix fort, l’une d’elles surtout, une vraie, celle-là. 

L’aristocrate Eleonora Anna Naria -Felice de Fonseca Pimentel, authentique journaliste révolutionnaire qui avait fait capituler les forces royalistes à la tête de ses troupes, fut condamnée à la pendaison alors qu’elle était noble. Pour mieux l’humilier, la reine Marie-Caroline inventa de la priver de culotte sur son gibet, où son cadavre, sexe à nu, demeura exposé plusieurs jours. Quant à l’héroïne imaginaire d’Alexandre Dumas, enceinte de son amant, elle fut décapitée à la hache. 

Je revois le joli cou de Laetitia Casta offert à la hache dans l’adaptation filmée des frères Taviani en 2003. Selon Nicolas Traube, l’un des producteurs, tourner la liquéfaction du sang de saint Janvier ne se fit pas sans mal au début du siècle – pas touche à ce mythe-là. Préférons le beau visage de la Casta en Luisa San Felice et laissons la Bourbonne cannibale à ses œuvres de mort.

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