Quelles sont les missions de l’OCRTEH ?

L’Office central pour la répression des êtres humains a été créé en 1958 pour lutter contre l’exploitation sexuelle et le proxénétisme. Notre vocation est plurielle et consiste avant tout à démanteler les groupes criminels et les réseaux organisés liés à la prostitution. Nous sommes le centre névralgique, à l’échelle nationale, qui concentre l’intégralité des données sur cette thématique. On a donc une vision d’ensemble qui nous permet de détecter les nouvelles tendances. Enfin, plus largement, l’OCRTEH s’associe aux polices d’autres pays et à des agences européennes et internationales, pour mettre en œuvre des projets stratégiques de lutte contre l’exploitation sexuelle. Le proxénétisme reste avant tout un phénomène supranational, malgré l’apparition de nouvelles problématiques, plus locales.

Des acteurs de terrain s’inquiètent d’une nouvelle tendance, la prostitution de mineurs français. Quel regard l’OCRTEH porte-t-il sur ce phénomène ?

C’est un phénomène bien réel. On observe, depuis 2014, la résurgence d’un proxénétisme franco-français qui avait pratiquement disparu jusque-là. Les derniers réseaux impliquant des Françaises avaient été démantelés au début des années 2000, au moment où commençaient à arriver des filles de l’Est, suivies par des Roumaines, des Camerounaises, des Nigérianes et enfin des Chinoises, chaque nouvelle communauté cassant les prix de la précédente. Depuis peu, on fait face à ce que l’on appelle un « proxénétisme de cité ». Il touche particulièrement les grandes agglomérations et leur périphérie, comme Lille, Paris ou Marseille. Ce phénomène présente une nouveauté : son développement est corrélatif avec le nombre de mineures identifiées au sein des réseaux de prostitution. Entre 2015 et 2018, le nombre d’affaires de « proxénétisme de cité » a augmenté de 600 %, tandis qu’entre 2014 et 2019, le nombre de mineures identifiées dans les procédures a crû de 571 %. Les courbes sont quasi identiques.

Comment expliquer une telle évolution ?

Cela correspond probablement, entre autres, à une tension du marché français de la prostitution. Le proxénétisme est malheureusement un rapport de marché entre une offre et une demande. En France, la demande est comparable aux autres pays européens, mais « l’offre » est bien moindre. Cette différence s’explique par le fait que la France, abolitionniste sur la question prostitutionnelle, a fait le choix d’une législation rigoriste et d’un cadre juridique fort pour lutter contre le proxénétisme. Selon la fondation Scelles, elles seraient 40 000 prostituées à officier dans l’Hexagone, contre 120 000 en Italie, 300 000 en Espagne et autour de 400 000 en Allemagne. Cette tension, qui est le reflet d’une demande non satisfaite, peut expliquer, en partie, l’émergence d’un proxénétisme de cité.

Qui sont les victimes ?

Les victimes identifiées par nos services sont exclusivement des filles. Elles sont majoritairement françaises, et de plus en plus jeunes : en 2019, sur les 188 victimes mineures identifiées par la police, quatre n’avaient que 13 ans. Ces jeunes filles, qui sont souvent en échec scolaire, n’ont pas forcément conscience du milieu dans lequel elles évoluent. Elles se présentent comme des escortes, et ne se considèrent pas comme des prostituées. Dans la plupart des cas, les proches ne sont pas au courant de leur activité véritable. Tôt ou tard, elles tombent toutes sous l’emprise d’un proxénète. Je ne crois pas en l’idée qu’il existerait des mineures qui se prostitueraient en toute indépendance. Du moins, si c’est le cas, ce phénomène reste très circonscrit. À partir du moment où la prostitution devient courante, que les prestations sexuelles se multiplient, les filles sont repérées et systématiquement contactées par des proxénètes qui viennent chercher leur part du gâteau.

Qui sont ces proxénètes ?

Ce sont de jeunes voyous français, connus pour des petites formes d’infractions et de délinquance. Souvent, ils ont déjà un palmarès en tant que seconde main dans des petits trafics. Ils voient dans le proxénétisme l’opportunité de diversifier leurs activités criminelles sans tomber en concurrence avec leurs grands frères. On trouve aussi des jeunes sans véritable passé criminel qui comprennent qu’ils peuvent se faire du cash rapidement, à faible investissement. Il suffit de mettre une fille dans une chambre d’hôtel et, dès la première journée, les profits sont potentiellement considérables. Une victime peut rapporter entre 200 et 1 000 euros par jour. Généralement, les proxénètes s’octroient la moitié du gain. C’est moins d’efforts et de risques qu’un braquage. Globalement, les proxénètes sont assez jeunes eux aussi ; 25 ans en moyenne. En 2019, 12 % des mis en cause étaient mineurs.

La prostitution des mineurs concerne-t-elle uniquement les banlieues populaires ?

Ce phénomène a énormément évolué, et rapidement. À l’origine, elle touchait exclusivement les cités françaises. Les filles étaient recrutées très localement, par le bouche-à-oreille. Elles étaient souvent exploitées dans les zones hôtelières, à proximité. Aujourd’hui, ce n’est absolument plus le cas. Les moyens de recrutement sont plus nombreux et variés. Les filles sont abordées et recrutées principalement sur les réseaux sociaux. On voit aussi de plus en plus de cas où les filles se recrutent entre elles. Elles ne sont plus exploitées sur la zone proche, mais très loin du lieu d’origine. Dans une affaire récente, des victimes originaires du Val-d’Oise étaient exploitées à Tours, à Toulouse, à Pau et à Strasbourg. Autre chose a changé, dans le « proxénétisme de cité », au cours de ces six dernières années : alors qu’il touchait des mineures en rupture sociale et familiale, il concerne désormais des jeunes filles issues de tous milieux sociaux.

À quels types de réseaux a-t-on affaire ?

Il ne s’agit pas de réseaux encore très organisés. Pour l’instant, on parle plutôt de groupes criminels. Le proxénétisme de cité reste encore une délinquance d’opportunité. Ce sont des jeunes, non aguerris, qui décident du jour au lendemain de se lancer dans l’activité pour se faire de l’argent. Mais on sent que c’est en train de changer : ils commencent à organiser leur logistique, qui consiste principalement à recruter des filles, organiser leur prostitution, gérer les sites Internet pour attirer les clients, planifier les rendez-vous, relancer la clientèle par SMS ou sur les réseaux sociaux en se faisant passer pour la fille. Ils ont compris qu’en s’organisant, ils peuvent faire travailler leurs victimes quotidiennement environ vingt jours par mois et générer des profits qui seront d’autant plus grands que la clientèle est bien ciblée, la fille particulièrement jolie et les photos aguichantes. Ils ont aussi compris qu’il fallait bouger régulièrement pour ne pas se faire coincer. Ça perturbe l’action policière.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles la police doit faire face ?

Notre priorité, lorsque l’on détecte ce phénomène, est de prendre des mesures conservatoires à l’égard des victimes. On doit faire en sorte d’extraire les jeunes filles sans pour autant mettre à mal notre travail d’identification des exploiteurs car, pour obtenir des condamnations à l’audience, il faut absolument que l’on parvienne à réunir suffisamment d’éléments à présenter devant la justice. L’équilibre n’est pas toujours facile, et ce travail est rendu d’autant plus difficile par le fait qu’il s’agit de prostitution logée, qui a lieu principalement dans des hôtels, à l’abri des regards. Le rôle du Net – dans le recrutement des victimes, l’organisation de l’offre et le blanchiment de l’argent de la prostitution – ne facilite pas la tâche non plus, la plupart des sites étant hébergés à l’étranger, au sein de pays avec lesquels la coopération est quasi nulle. Mais nous allons nous adapter à ces nouvelles pratiques, en passant notamment plus de messages de prévention auprès des professionnels susceptibles de faire face à cette problématique. On parvient déjà à identifier davantage les cas de prostitution de mineures, et bien que cela ne soit évidemment pas suffisant, on ne passe désormais plus à côté.

Le confinement décidé en mars a-t-il eu un impact sur l’activité des jeunes prostituées et proxénètes ?

La crise sanitaire du Covid a entraîné une diminution de l’activité prostitutionnelle de manière globale. Plusieurs affaires de proxénétisme dit « de cité » ont néanmoins été traitées pendant la période du confinement (avec ou sans victimes mineures), indiquant que l’activité des proxénètes et des prostituées a perduré. 

Quid de la prostitution des mineures étrangères ?

Sur l’année 2019, 91 % des victimes mineures recensées étaient de nationalité française. Quelques jeunes victimes de nationalités étrangères apparaissent également dans des affaires de proxénétisme de cité. Elles sont de nationalités très diverses et mêlées à des victimes françaises. La question se pose pour les victimes nigérianes déclarées sous une fausse identité et pour lesquelles il est difficile d’établir un âge fiable. En 2019, deux victimes nigérianes mineures apparaissent dans nos statistiques. 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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