Vous souvenez-vous de vos « années collège » ? De cette pression qu’il faut supporter au quotidien. Et je ne parle pas des bonnes notes. Pour ça, mes parents n’avaient pas de souci à se faire. J’étais plutôt bonne élève. Précoce, leur a-t-on même dit. Je rêvais de devenir ingénieure en aéronautique militaire. Non, je parle plutôt de la pression à être populaire, à être quelqu’un. Rentrer dans le moule pour se faire accepter des autres. Moi, j’avais les traits légèrement asiatiques, héritage de ma chère maman. Et puis j’avais des formes plutôt rondes pour une fille de 14 ans. Ces deux caractéristiques ont suffi à faire de moi un bouc émissaire. Pendant des mois, j’ai affronté le harcèlement scolaire. En cours, dans les couloirs, jusqu’à la maison, par le biais des réseaux sociaux. Pour m’en sortir, j’ai trouvé une parade : effacer la gentille Nina au profit d’un personnage, d’un nouveau moi.

J’ai commencé en ligne. Sur Instagram, j’imitais les influenceuses en postant des photos sexy. J’avais pour modèle des femmes comme Kylie Jenner ou les sœurs Hadid. Les réseaux m’ont décomplexée, m’ont aidée à mieux accepter mon corps et à gagner confiance en moi au fil des « likes ». Pour avoir l’air cool, je me suis mise à fumer, à sécher, à fuguer. Mes parents ne me reconnaissaient pas. Régulièrement, je volais leurs économies pour m’acheter des fringues ou louer des chambres d’hôtel pour y passer des soirées entre amis. J’avais soif de liberté et d’autonomie. J’ai fini par me désintéresser de l’école. Mon objectif, c’était de gagner ma vie. Je voulais pouvoir m’offrir tout ce qui me faisait plaisir. Pourtant, je ne manquais de rien ! Quand je demandais un billet à mes parents, il était rare qu’ils me le refusent. Mais je voulais toujours plus.

À l’occasion de mon anniversaire, j’ai pris une chambre au Casino Barrière. Un cinq-étoiles pour mes quinze ans. J’avais invité Brice, mon ami gay. Dans un bar, on a rencontré deux mecs qui nous ont proposé d’aller en boîte. Brice a préféré rentrer à l’hôtel mais, moi, je n’étais jamais allée en discothèque, alors j’ai accepté. Je n’ai pas trop de souvenirs de cette nuit-là. Je sais simplement que je me suis réveillée le lendemain matin, nue, dans un appartement vide. Un mot sur la table de la cuisine : « Je reviens à 17 heures avec mes enfants, il faut que tu sois partie. » En une seule nuit, on m’avait violée et volé ma virginité.

Les mois suivants, ma vie s’est disloquée. J’ai pris l’habitude de monter dans des trains et des voitures Blablacar pour rejoindre des types rencontrés sur Snapchat. J’ai tellement fugué que j’ai arrêté de compter. Chaque fois, mes parents allaient signaler ma disparition au commissariat. Un jour, j’ai atterri à Troyes, chez Éric, un dealer de cannabis. Je lui ai demandé de m’aider à me faire de l’argent. Il m’a dit : « Écoute ma chérie, les stups, c’est pas un milieu de femmes. À part le tapin, je vois pas. » Voilà comment je suis tombée dedans, tout simplement. Personne ne m’a forcée, j’y suis allée comme une grande. Après tout, c’était ce que je voulais être, une grande. Pendant plus d’un an, j’ai vendu mon corps par le biais de petites annonces sur Internet. Au départ, je n’avais pas conscience que mes activités avaient un nom. Pour moi, la prostitution avait lieu dans des bars à champagne, des clubs, dans des vitrines, comme en Belgique. Je voulais croire que je ne faisais que de l’accompagnement, de l’escorting. C’était plus classe, plus raffiné. Je me voilais la face.

Sur mon chemin, j’ai croisé des hommes qui ont vu en moi un bon moyen de se faire de l’argent. En échange de leur assistance, je leur reversais une partie de mes gains. Je n’avais pas vraiment besoin d’eux pour me détruire, mais ainsi, je n’étais pas seule dans ma chute infernale. La résine et la cocaïne s’y sont mêlées. Il fallait bien ça pour que je puisse continuer à me supporter. L’argent me faisait tenir, lui aussi. Claquer du cash me faisait me sentir enviée, respectée, vengée.

Quand j’étais trop mal, j’appelais mon père à l’aide. Il venait toujours me chercher, à n’importe quelle heure et où que je sois. À la maison, mes parents aussi vivaient l’enfer. Ils craignaient de ne jamais me retrouver, de perdre la garde de mes petits frères à cause de moi. Ils ont tout fait pour me sauver, allant jusqu’à contacter les services sociaux pour les supplier de les aider, quitte à me placer dans une famille d’accueil. Les institutions sociales et judiciaires ont été si défaillantes qu’à chaque retour de fugue, je me débrouillais pour prendre le large à nouveau. Plus le temps passait, plus il était difficile de revenir. J’avais honte de faire souffrir ma famille qui m’aimait tant, honte de les décevoir à chaque fois que je les abandonnais de nouveau. Je ne pouvais pas m’en empêcher, mon personnage me collait à la peau. Les réseaux sociaux me faisaient replonger. Il aurait fallu que je tue mon alter ego, mais c’était au-dessus de mes forces. J’y étais accro. Alors j’ai arrêté de rentrer à la maison.

J’ai fini par tomber amoureuse d’un homme, Bilal, un trafiquant. Parce que je lui avais volé 5 000 euros, il m’a forcée à continuer la prostitution pour le rembourser. Sur l’amour aussi, je m’étais plantée. C’est là que je me suis enfoncée dans la drogue. Mes parents, déterminés, sont parvenus à me sauver avec l’aide de la police.

J’ai eu la chance de m’en sortir. Ma cavale a fini par prendre fin. J’ai arrêté de fuir mon mal-être et j’ai accepté de me soigner. À l’époque, j’aurais aimé que l’on me dise qu’une fin heureuse était possible, que je n’avais pas tout détruit. Mes parents me l’ont dit, des assistants sociaux, des éducateurs aussi. Mais ces voix n’étaient pas légitimes à mes yeux. Ce que j’aurais voulu entendre, c’est la parole d’une fille qui s’en était sortie. Voilà pourquoi je m’exprime aujourd’hui. 

Propos recueillis par MANON PAULIC

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