[C’est quand, le bonheur ? 4/5] Cet été, le 1 ouvre ses archives en sélectionnant un thème par semaine. Aujourd'hui, le psychiatre Christophe André explique au 1 les raisons du succès de la méditation et répond aux critiques qui lui sont faites.

 

À quoi fait-on référence aujourd’hui lorsque l’on parle de méditation ?

C’est un mot compliqué, car l’histoire l’a rendu polysémique. Longtemps, en Europe, la méditation a fait référence à une réflexion intellectuelle approfondie, d’inspiration philosophique, à la suite de Descartes ou de Pascal notamment. Un petit tableau de Rembrandt au Louvre, Philosophe en méditation, montre ainsi un homme assis sur sa chaise, réfléchissant probablement au sens de l’existence. Puis vinrent les méditations poétiques de Lamartine ou de Chateaubriand. Il y a aussi une méditation chrétienne, destinée à « ruminer » les Écritures saintes. Enfin, sont arrivées les méditations venues d’Orient, empreintes de bouddhisme, comportant une part spéculative, spirituelle, mais aussi tournées vers l’apaisement, la pacification de l’esprit, hors de toute croyance.

Introduire la méditation dans le monde médical vous a-t-il été facile ?

Non ! Quand on a introduit cette pratique en 2004 à l’hôpital Sainte-Anne, on a vite compris qu’il fallait utiliser un autre terme. Au début, un patient sur deux à qui je proposais des séances de méditation prenait peur et ne revenait pas. Il faut dire que l’époque était encore marquée par le poids des sectes, des gourous, des dérives de la méditation transcendantale dans les années 1970. On parlait par conséquent d’entraînement attentionnel. Ce n’était qu’un demi-mensonge ! Car, dès le XIXe siècle, William James, fondateur de la psychologie moderne et frère de l’écrivain Henry James, considérait que la maîtrise de l’attention était la clé de tout : de l’éducation comme de l’équilibre psychique.

Aujourd’hui, la méditation est-elle mieux acceptée ?

Oui, la situation a beaucoup changé, en France comme dans le reste de l’Occident. En une vingtaine d’années, on est passé de cet usage du mot dans un sens plutôt philosophique et religieux à un usage presque médical, psychologique. Et quand on parle de méditation, très souvent, on fait désormais référence à ce type particulier de méditation qu’est la pleine conscience. 

Comment la présenteriez-vous ?

La méditation de pleine conscience est un entraînement de l’esprit visant à développer des capacités cérébrales comme l’attention, le calme intérieur, la bienveillance. De la même façon qu’on ne peut « décider », du jour au lendemain, d’être plus souple sans exercice, ou d’être plus musclé sans faire du sport, on ne peut décider d’être moins stressé, de profiter de la vie. Il faut donc s’entraîner. Et, plus vous vous entraînez, plus vous musclez vos aires cérébrales dédiées à l’attention, la régulation des émotions, etc.

Comment expliquez-vous son succès actuel ?

Son côté laïque tout d’abord. Sa simplicité aussi : quand j’étais étudiant et que je voulais méditer, je devais pratiquer le Vipassana, un ensemble de pratiques bouddhistes avec des stages de dix jours, des méditations longues, des expériences fatigantes, à l’occasion desquelles pouvaient survenir chez les plus fragiles des attaques de panique. Avec la pleine conscience, on est sur une version simplifiée, sans maître, dont on estime qu’on peut apprendre les rudiments en trois mois. Enfin, c’est une méditation qui jouit aujourd’hui de validations scientifiques quant à ses bienfaits. 

Quels sont-ils ?

Les études montrent que la méditation est un très bon entraînement attentionnel. L’attention, c’est l’œil de l’esprit, ce vers quoi notre mental décide de se tourner. Quand on médite, on passe son temps à ramener son attention sur l’objet que l’on a choisi : le souffle, le corps, les sons, l’examen de ses pensées… La capacité de maîtrise de l’attention est devenue un enjeu décisif, car elle est l’objet d’une guerre de captation : les pubs, les écrans nuisent à notre santé. Comme il y a des perturbateurs endocriniens, il existe des perturbateurs attentionnels, moins visibles mais omniprésents et dangereux pour nos capacités intellectuelles et émotionnelles.

Des études montrent ainsi que plus on est dans la dispersion, moins on a de chance d’être dans une émotion positive. La méditation, elle, améliore la régulation émotionnelle. Les méditants expérimentés ont les mêmes émotions que nous, la neuro-imagerie le montre. Mais chez eux, les émotions négatives s’éteignent plus rapidement. J’ai assisté à des colères de Matthieu Ricard : en cinq minutes, elles ont disparu, car elles sont moins explosives, moins inutilement durables.

« Le premier objectif n’est pas d’empêcher l’émotion d’être, mais plutôt de la comprendre »

En méditation de pleine conscience, on recommande de travailler sur ses émotions douloureuses, de les décomposer pour ne pas les subir en bloc. La plupart des gens essayent de les nier ou se font absorber par elles. Or, le premier objectif n’est pas d’empêcher l’émotion d’être, mais plutôt de la comprendre : de quoi est-elle composée ? où se manifeste-t-elle dans mon corps ? Ensuite, j’observe mes pensées : que suis-je en train de me dire ? C’est différent de penser « ce mec est un salaud » et « je suis en train de me dire que ce mec est un salaud ». Il y a un temps de recul. Enfin, j’observe mes impulsions : ai-je envie de pleurer, de frapper, d’insulter, de me plaindre, de disparaître, voire de me suicider ? Le travail consiste à laisser décanter l’émotion, sans se laisser duper par elle, et regarder si l’horizon se dégage. L’image que l’on donne souvent aux apprentis méditants, c’est la boule à neige. Il suffit d’arrêter de la secouer, et la neige retombe toute seule. 

La méditation sert-elle simplement à lutter contre ses douleurs ou son angoisse ?

Non, elle consiste à être présent à toutes ses émotions. Quand on rencontre des émotions douloureuses, l’acte de présence va limiter leur durée, la sévérité de leurs conséquences. Mais cela va aussi amplifier la fréquence et l’intensité des émotions agréables. On n’est pas dans la psychologie positive, il ne faut pas se forcer à tout prix à avoir des pensées plaisantes, mais simplement se rendre présent aux émotions agréables. On augmente par conséquent notre sensation que la vie a un sens, qu’elle vaut le coup, puisqu’il y a aussi des moments comme ceux-là. C’est ce dont sont privés les dépressifs, qui souffrent d’anhédonie, l’incapacité à ressentir du plaisir. 

Mais cette forme de méditation ne favorise-t-elle pas finalement l’individualisme et le repli sur soi ?

C’est une critique récurrente, alimentée par le cliché des moines et des nonnes qui se coupent du monde, et qui explique d’ailleurs la déchéance de la méditation chrétienne en France. Mais c’est aussi une critique qui a été faite à la psychanalyse, vue comme une science bourgeoise qui détourne de la révolution. C’est peut-être parfois vrai. Il y a dans le grand mouvement d’aspiration au bien-être de nos contemporains quelque chose qui peut, chez certains, flatter les penchants hypocondriaques ou narcissiques. Mais la méditation n’a pas pour objectif d’offrir des petits moments de bien-être à l’écart du monde. Elle n’est pas une absence, mais une présence au monde. 

Tempérer sa colère, cela ne revient-il pas à se résigner à accepter le monde tel qu’il est ?

C’est l’autre grande critique qui nous est généralement adressée. L’acceptation n’implique pas de renoncer à l’action ou de subir le monde, mais de prendre un temps préalable à l’action. C’est aussi reconnaître la réalité des violences, des injustices, sans pour autant les approuver, mais en mesurant sereinement les actions que je peux mener contre elles. Les études montrent d’ailleurs que la méditation aide à prendre conscience de l’importance des liens avec son entourage comme avec la nature, ce qui explique que les méditants aient souvent une sensibilité écologique et sociétale avancée.

« Peu à peu, de ces séries d’exercices, on passe à une véritable philosophie de vie »

Comment la méditation doit-elle être pratiquée au jour le jour ?

Il faut de la régularité, comme pour l’exercice physique ou un régime alimentaire. On ne peut pas se bonifier si on ne pratique pas. Je vois trois recommandations principales. La première, c’est un exercice méditatif le matin, le plus long possible – pour moi, c’est douze minutes en semaine, trente à quarante-cinq le week-end. Cela permet d’éveiller son esprit à la pleine conscience, de mettre en route le logiciel.

Ensuite, il y a ces parenthèses au cours de la journée, dès lors qu’on connaît une émotion douloureuse ou agréable, afin de prendre le temps de les comprendre et de les traverser. Ces pauses peuvent aussi se pratiquer lors des moments de transition, quand on arrive au bureau le matin ou à la maison le soir, afin d’aligner son esprit sur cette nouvelle situation.

Enfin, la dernière série d’exercices, c’est de savoir agir en pleine conscience, c’est-à-dire en étant pleinement dans une seule action. Si je conduis, si je lis une histoire à un enfant, si je réfléchis, je ne fais que cela et je ne me disperse pas. Lorsque je parle à quelqu’un, j’écoute pleinement ce qu’il me dit. Peu à peu, de ces séries d’exercices, on passe à une véritable philosophie de vie. 

La popularité de la méditation répond-elle à une demande de sens ?

Au-delà de sa validation scientifique, je crois qu’elle répond en effet à une crise de l’époque. La vogue de la méditation épouse en particulier la digitalisation de notre société et l’afflux des écrans dans nos vies : ce n’est pas un hasard. Dans un monde régi par l’accélération, la disponibilité, la distraction, notre cerveau est sans cesse stimulé. Et comme l’activité physique est devenue essentielle pour compenser notre sédentarité, je crois que la méditation pallie des carences invisibles – lenteur, calme, continuité, temps de réflexion – dont nos vies nous privent.

Quel lien entretient-elle avec notre demande de spiritualité ?

L’Église s’est un temps méfiée de la méditation de pleine conscience, car elle redoutait une forme de concurrence. Depuis, un vaste mouvement a été lancé par des prêtres qui ont compris que la méditation n’était pas la prière, et qu’elles pouvaient être complémentaires. Méditer pourrait aider à mieux prier. Mais même pour les non-croyants, la méditation peut contribuer à ce qu’André Comte-Sponville appelle une « spiritualité laïque », elle peut aider notre esprit à se confronter aux absolus – la vie, la mort, l’infini. Car nous ne sommes pas que des machines pensantes ou des consommateurs producteurs, mais des êtres spirituels confrontés aux mystères de l’existence. Cela ne nécessite pas de se ranger derrière une religion. La méditation nous offre la possibilité d’une communion avec le monde qui nous entoure. Elle nous permet aussi de réaliser que nous sommes des êtres éphémères, fragiles, perdus dans un univers silencieux. La méditation n’offre pas de réponses pour combler ce vide qui s’ouvre sous nos pas. Mais elle nous encourage à avancer lucidement sur un chemin dont nous ignorons l’issue. 

 

Propos recueillis par MANON PAULIC & JULIEN BISSON

Illustrations JOCHEN GERNER & STEPHANE TRAPIER

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