L’abus serait-il devenu l’habit de tous les jours du pouvoir ? Une mauvaise habitude rendue nécessaire par la dureté des temps ? Pour vérifier tristement que tout pouvoir porte en lui l’excès comme la nuée l’orage, paraphrase de Jaurès à propos du capitalisme toujours gros de la guerre. Il est des images qui heurtent les esprits aussi fortement que les coups de poing enragés de policiers sur un producteur de musique noir. L’expulsion manu militari du camp de migrants de l’Écluse à Saint-Denis le 17 novembre, de même que l’évacuation musclée de migrants afghans place de la République une semaine plus tard, nous questionnent sur l’usage de la violence dite « légitime » – dont elles ont le monopole – par les forces de l’ordre. Avec l’assentiment de l’exécutif pour ces actions publiques, par la main ferme du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

S’agissant d’images choquantes et insupportables, il y a une certaine ironie à constater que si le gouvernement a reculé sur l’article 24 de la future loi Sécurité globale prévoyant de sanctionner la diffusion de vidéos de policiers en pleine action, c’est précisément en raison des preuves de tabassage d’un citoyen innocent fournies par des caméras dites « de surveillance ».…

On peut convenir que dans un contexte inédit où se cumulent les risques liés à une pandémie tenace et les sursauts aveugles d’un terrorisme islamiste toujours dangereux, les libertés soient « atténuées », selon le mot employé par le juriste Thomas Clay, avocat et président provisoire de la Sorbonne, dans l’entretien qu’il nous a accordé. Pour autant, l’effet d’accumulation se fait sentir. Qui sème le doute sur le caractère justifié des restrictions à nos libertés au nom d’un intérêt supérieur. « De l’évacuation de la jungle de Calais aux manifestations contre la proposition de loi sur la sécurité globale, en passant par le mouvement Nuit debout et la loi Travail, écrit dans ce numéro le président de Reporters sans frontières Christophe Deloire, des journalistes ont été empêchés de travailler », subissant « à des centaines de reprises des saisies de matériel, de tirs de LBD et de grenades de désencerclement ».

En septembre 2019, l’avocat François Sureau, dans son texte Sans la liberté (« Tract », Gallimard), nous avait déjà alertés sur l’effacement de l’État de droit, « de propagande sécuritaire en renoncements parlementaires ». Sans doute la clé est-elle là : dans un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement et de tous les organismes de contrôle face à un exécutif qu’on ne saurait sérieusement soupçonner de visées dictatoriales. Mais dont les réflexes autoritaires, aggravés par un manque de confiance en sa légitimité, doivent d’urgence être combattus. 

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