La joie de sévir
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Des juges ? Pourquoi des juges ? À quoi nous serviraient-ils ? Que pourraient-ils faire à part différer l’exécution des peines que nous, médias, prononçons ? Pire, même, les contester, voire les contredire ou jeter sur elles je ne sais quel soupçon. Avez-vous mesuré le temps qu’il faut aux magistrats pour examiner une affaire ? Pour prendre une décision ? Pour peser une nouvelle fois cette décision si le condamné interjette appel ? Franchement, avons-nous du temps à perdre à cette course en sac ? Ne vivons-nous pas dans une époque délibérément nouvelle ? Notre société est réactive, rapide, brusque, impatiente, disruptive, impétueuse. Fast-food, speed dating, café instantané, condamnation immédiate, exécution directe et au diable celui qui prétend retarder l’œuvre médiatique du bourreau. Plaçons la guillotine dans la salle d’audience, le pilori à ses côtés. Prononcer, c’est trancher.
Sans doute y eut-il une époque, et pas si lointaine, où l’on pouvait faire confiance aux juges : ils obéissaient. Tantôt à l’exécutif, tantôt à la clameur. L’histoire les a vus ramper devant Vichy et se vautrer aux pieds des tricoteuses. Mais, depuis qu’ils se sont syndiqués et qu’ils ont découvert que leur nombre pouvait leur donner du poids et contribuer à leur conférer l’indépendance que les textes leur promettent, on ne peut plus se fier aux tribunaux.
À l’évidence, les principes sur lesquels se fonde l’exercice de leur métier ne sont plus adaptés aux exigences de notre temps. Ça fait peut-être de la littérature, mais certainement pas l’un de ces guidelines qui déterminent la pertinence d’une action. Prenez la déclaration que chaque juré d’assises est tenu d’écouter debout, lue par le président de la cour : « Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X…, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; […] de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre… » Examiner les charges ? Sur Internet, l’un produit tel fait, l’autre rapporte tel autre qui le contredit : quand on n’est pas soi-même détective et qu’une accusation est portée par une myriade de tweets, n’est-ce pas à leur nombre qu’est due « l’attention la plus scrupuleuse » ? « N’écouter ni la haine ni la crainte », peut-être était-ce une prescription sensée lorsque ce texte fut écrit, mais aujourd’hui, pour n’écouter aucun de ces deux sentiments, il faut être plus sourd qu’une enclume, et la justice doit seulement être aveugle…
Si nous nous soumettons à leur principe de non-rétroactivité des lois, nous laisserons impunis tous ceux dont les comportements passés ne pourront plus être condamnés à la lumière des critères d’aujourd’hui. Quant à leur non bis in idem, cette interdiction de revenir sur une affaire déjà jugée, c’est un trou dans notre filet. Pis encore, leurs circonstances atténuantes sont un examen chronophage et une insulte au principe d’égalité devant la loi. Ne comptez pas sur notre pitié, alors que nous pouvons nous donner la joie de sévir.
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