Que les débuts de la Ve ­République furent tranquilles pour les puissants ! Élus, ministres, industriels, chefs d’entreprise, notaires et banquiers bénéficiaient d’une immunité judiciaire de fait. Ils n’avaient nulle perquisition à craindre, nulle inculpation à redouter et encore moins d’incarcération. Cette ­répression-là était réservée aux criminels d’occasion, aux voyous du milieu ou aux délinquants ordinaires. Heureuse époque… Elle n’était troublée, de proche en proche, que par des scandales d’État comme l’affaire Ben Barka (1965). ­Scandale d’une telle ampleur que le pouvoir se voyait contraint de laisser la justice s’en saisir, sachant qu’elle n’irait pas loin. Rappelons que le principal opposant marocain, Mehdi Ben Barka, fut arrêté par des policiers français à Paris, livré aux services secrets marocains dans une villa de la région parisienne où il fut assassiné sur les ordres du général Oufkir, ministre de l’Intérieur de Sa Majesté.

Les comparses de cette détestable affaire seront jugés et condamnés ; les commanditaires jamais inquiétés. En ce temps-là, la justice est aux ordres. Les méchantes langues prétendent qu’elle est couchée, dans une allusion au jargon judiciaire qui parle d’une « justice assise » (les juges du siège) et d’une « justice debout » (les magistrats du parquet qui requièrent debout au nom de la société). En ces temps-là, les ministres reçoivent chaque mois des fonds secrets en liquide dont ils disposent à leur convenance ; la promotion immobilière, les ventes d’armes, les entreprises de BTP, les grandes fortunes, les compagnies implantées en Afrique francophone financent généreusement les partis ­politiques dans une parfaite opacité.

Mai 68 va ouvrir une nouvelle ère. Alors que le général de Gaulle s’est retiré et que Georges Pompidou s’installe à l’Élysée, des juges créent le ­Syndicat de la magistrature. Une première dans ce monde judiciaire bourgeois et feutré. Ces jeunes syndiqués font ouvertement référence au marxisme et contestent une justice très hiérarchisée. Les années 1970 seront tumultueuses !

Trois juges d’instruction vont alors marquer les esprits. Le premier s’appelle Henri Pascal et conduit, en 1972, l’enquête sur la mort d’une jeune fille de 15 ans dont le corps a été retrouvé sur un terrain vague de Bruay-en-Artois, dans le Nord. Tout bascule lorsque le juge se convainc de la culpabilité d’un membre de l’establishment local, le notaire Pierre Leroy, et le place en détention. Le juge communique sans réserve avec la presse et devient une vedette nationale, bientôt désigné comme « le petit juge », manière de dire qu’il lutte contre les « gros ». Mais il ne possède aucune preuve contre Pierre Leroy et sera dessaisi du dossier. Le notaire est libéré au bout de trois mois, puis un ami de la jeune fille se dénonce pour être finalement innocenté. Une affaire bâclée, jamais résolue…

Le deuxième juge d’instruction à faire irruption sur la scène publique exerce lui aussi dans le Nord. Il s’appelle Patrice de Charrette. Chargé de conduire en 1975 une enquête sur un accident du travail qui a prov

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