Comment l’agriculture française s’insère-t-elle dans les échanges internationaux ?

Il faut faire une distinction entre les échanges au sein de l’Union européenne et ceux avec le reste du monde. Contrairement à ce que l’on imagine, la majeure partie de nos importations et exportations se fait avec les pays européens. Par exemple, 92 % du porc importé en France provient du marché commun. La balance commerciale de la France est toujours excédentaire vis-à-vis des pays hors UE, mais ce n’est plus le cas vis-à-vis des États membres.

L’agriculture française subit-elle une concurrence déloyale ?

L’Union européenne n’harmonise pas les normes sociales et le droit du travail, par exemple. Ainsi, la concurrence avec les légumes et fruits d’Espagne se joue avant tout sur le coût de la main-d’œuvre. Un ouvrier marocain qui travaille dans des conditions à peine légales coûte bien moins cher qu’un ouvrier agricole français payé au Smic.

L’autre différence entre les pays tient à la façon dont chacun transcrit dans son propre droit les directives européennes. Prenons le cas des produits phytosanitaires : l’UE en interdit certains, mais, pour les autres, laisse les États membres décider de les utiliser ou non. Seules l’Italie, l’Espagne et la Grèce autorisent plus de molécules que la France. De grands concurrents agricoles comme la Pologne ou l’Allemagne en utilisent moins que nous.

Importe-t-on beaucoup de produits agricoles qui ne respectent pas les normes en vigueur sur notre sol ?

Tout à fait. Par exemple, les 3,4 millions de tonnes de soja importées chaque année sont OGM et, jusqu’à très récemment, souvent source de déforestation. Mais ne soyons pas hypocrites : elles constituent aussi la clef de voûte d’une partie de notre élevage, en nourrissant vaches et poulets. La crise structurelle que traverse l’agriculture française nécessite une vraie mise en cohérence de l’ensemble de nos politiques.

Par ailleurs, on se soucie peu de savoir si les exportations françaises respectent les standards des pays destinataires. Nos exportations de produits laitiers vers l’Afrique de l’Ouest, par exemple, ont fait énormément de tort aux producteurs locaux car ils arrivent sur place à un prix inférieur à celui du marché local.

Pourquoi importe-t-on des marchandises que l’on sait produire ?

Comme d’autres pays, la France a fait le choix, pour avoir une agriculture compétitive à l’export, de se spécialiser dans certaines filières, notamment le blé et les produits laitiers. Le revers de la médaille, c’est que nous devons importer, ne serait-ce que pour réussir à produire ce que nous exportons. Pour les vaches laitières, par exemple, le soja est la source de protéines optimale. Si elles mangent une autre légumineuse, comme la luzerne, elles produisent moins de lait. Il faut donc en importer. Nous pourrions cultiver plus de soja, mais cela se ferait pour partie au détriment des surfaces en blé, dont un grain sur deux est aujourd’hui exporté.

De la même manière, pour les fruits frais tempérés, c’est-à-dire non exotiques, nous dépendons des importations à hauteur de 41 % de notre consommation. Si nous voulons en produire plus, il faudra bien installer des vergers à la place d’autres productions.

Comment expliquer que l’on exporte du lait, par exemple, et que les producteurs laitiers gagnent si mal leur vie ?

Le lait est un produit très versatile. En France, environ 50 % des volumes servent à des produits qui ont une valeur ajoutée plus faible que, par exemple, le fromage. Ainsi, nous exportons plus des deux tiers de la poudre de lait qu’elle produit. Les filières font donc leur marge sur les volumes plutôt que sur la qualité. Et les producteurs dépendent du prix auquel la coopérative ou le négoce achètent leur production.

Comment rééquilibrer les échanges ?

La compétitivité des prix ne doit pas être le seul objectif, il faut prendre en compte d’autres enjeux. On ne peut pas être compétitifs face au poulet brésilien, par exemple : vous avez d’un côté des fermes françaises relativement familiales, qui dépendent d’importations de soja pour nourrir leurs animaux et, de l’autre, des méga-holdings brésiliennes qui produisent les aliments de leurs animaux. Résultat : un poulet consommé en France sur deux est aujourd’hui importé.

Pour importer moins, on pourrait augmenter la production nationale de poulet – même si ce serait dommageable pour l’environnement. Mais jamais la France ne pourra produire deux fois plus de poulet qu’actuellement.

Si on veut en importer moins, il est donc impératif de faire évoluer la demande à la baisse, en particulier celle de viande importée bas de gamme. En parallèle, avec une consommation moins fréquente et plus « consciente », il serait souhaitable de relancer la demande de poulet français labellisé, qui peut prendre le temps de grossir en mangeant autre chose que du soja. Mais cela pose la question de nos politiques alimentaires et de l’accompagnement de l’évolution de la consommation.

Quels agriculteurs profitent des accords de libre-échange ? Lesquels en pâtissent ?

Précisons que les accords de libre-échange ne sont que l’une des modalités du commerce mondial. Ils consistent à réduire ou supprimer les droits de douane entre deux régions du monde, ce qui a pour effet d’augmenter les flux commerciaux entre elles. C’est l’Union européenne dans son ensemble qui négocie ces traités ; on peut citer le Ceta avec le Canada ou les négociations en cours avec le Mercosur [zone économique sud-américaine qui inclut le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay].

Les agriculteurs européens qui y gagnent varient selon les accords. Un texte peut profiter au porc danois et un autre au poulet polonais. On en revient à la question de la compétitivité intra-européenne. Lorsque des filières françaises bénéficient de ces traités, ce sont souvent les « vins et spiritueux » ainsi que le blé qui se trouvent concernés, tandis que les impacts pour d’autres agriculteurs peuvent être négatifs.

« Avant de signer un accord, les pays font leurs calculs, en sachant qu’il y aura toujours des gagnants et des perdants »

La filière ovine en est l’exemple le plus marquant : elle compte 4,29 millions de bêtes en 2022, contre près de 5,8 millions il y a vingt ans. Sur les étals, le gigot d’agneau français coûte jusqu’à trois fois plus cher que le gigot néo-zélandais. Or l’UE vient de ratifier un traité avec la Nouvelle-Zélande autorisant ce pays à faire entrer un large contingent de moutons en Europe sans aucun droit de douane.

Avant de signer un accord, les pays font leurs calculs, sachant qu’il y aura toujours des gagnants et des perdants. Toutefois, la concurrence que subissent les agriculteurs français reste très majoritairement intra-européenne. Les accords de libre-échange ne sont que la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

La situation peut-elle changer ?

Sortir des dispositions européennes est quasiment impossible. On peut parfois activer des clauses de sauvegarde, en guise de mesure de crise.La Roumanie a mis en place une dérogation pour utiliser les néonicotinoïdes [les pesticides « tueurs d’abeilles »], mais elle est en train de se faire rattraper par la patrouille.

Concernant les accords hors Europe, la France ne peut pas décider seule de dénoncer tel ou tel traité, la politique commerciale est du ressort de Bruxelles. Un État membre peut en revanche inciter l’UE à le faire, ou du moins à réviser les textes. Mais il ne faut pas oublier qu’une grande partie d’entre eux sont favorables à ces accords.

« Il y a évidemment un côté absurde à faire venir de la viande de l’autre bout du monde ! »

Au vu de la crise écologique, est-il vraiment sensé de faire venir du mouton de Nouvelle-Zélande, pour reprendre votre exemple ?

Il y a évidemment un côté absurde à faire venir de la viande de l’autre bout du monde ! Dans certains cas, paradoxalement, c’est même la manifestation du changement climatique qui entraîne un accroissement des exportations. Lorsque la Nouvelle-Zélande fait face à des sécheresses, ce qui est de plus en plus fréquent, ses moutons n’ont plus d’herbe à pâturer. Le pays accroît alors fortement ses abattages, ce qui augmente soudainement les quantités de viande ovine envoyées vers l’Europe.

Mais encore une fois, cela n’est pas seulement dû aux accords de libre-échange : même sans traité avec le Mercosur, nous importons du poulet du Brésil, par exemple. Le problème tient à la spécialisation des zones de production dans le monde. Elle est intrinsèquement incompatible avec la nécessaire transition agroécologique. 

 

Propos recueillis par HÉLÈNE SEINGIER

 

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