Monsieur le rédacteur en chef,

Vous me dites que les océans sont menacés par la surpêche, le réchauffement climatique, l’acidification, le manque d’oxygène… Mais, moi, je les vois terriblement menaçants. Déjà, la Méditerranée, cette mer fermée, bordée de stations balnéaires ensoleillées, me donne des sueurs froides en raison de ses colères soudaines. Que dire alors des espaces liquides sans limites, aux profondeurs abyssales, pleins de dangers et de mystères, qui relient les continents !

Je retiens mon souffle en voyant un champion de surf prendre une vague géante au risque d’être englouti par elle. Et je ne comprends vraiment pas le skippeur qui va connaître l’enfer et risquer sa vie en franchissant les quarantièmes rugissants. Même en vidéo, l’océan déchaîné m’est insupportable. Je me suis bien gardé de voir Les Dents de la mer de ce diable de Spielberg. À elle seule, l’affiche de son film me plonge dans l’angoisse. Cette gueule ouverte d’un requin, comme un trou béant… Plus que ce prédateur assoiffé de sang, n’est-ce pas l’océan qui veut m’avaler ?

En bateau, je n’ai qu’un désir : accoster. Le mouvement perpétuel des flots m’affole. Mon corps réclame du solide et de la stabilité. La terre ferme.

Monsieur le rédacteur en chef, j’avoue avoir été très marqué, il y a de cela quelques années, par l’histoire d’un petit navire qui n’avait jamais navigué. Au bout de cinq à six semaines, les vivres vinrent à manquer et le plus jeune membre de l’équipage faillit être mangé. Malgré son heureuse conclusion, ce drame m’est resté sur l’estomac. La mer qu’on voit danser le long des golfes clairs a peut-être des reflets d’argent, mais on ne m’ôtera pas de l’idée que c’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme. 

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