Dieu a créé le bête ; Victor Hugo, le mot. Pour désigner le monstre marin que ses contemporains appellent poulpe, le poète-romancier emprunte au patois des pêcheurs de Guernesey et invente « pieuvre ». Le terme va s’imposer en français pour apprivoiser ce mystère obscène : « une viscosité qui a une volonté ».  

Pour croire à la pieuvre, il faut l’avoir vue.
Comparées à la pieuvre, les vieilles hydres font sourire.
À de certains moments, on serait tenté de le penser, l’insaisissable qui flotte en nos songes rencontre dans le possible des aimants auxquels ses linéaments se prennent, et de ces obscures fixations du rêve il sort des êtres. L’inconnu dispose du prodige, et il s’en sert pour composer le monstre. Orphée, Homère et Hésiode n’ont pu faire que la Chimère ; Dieu a fait la Pieuvre.
Quand Dieu veut, il excelle dans l’exécrable.
Le pourquoi de cette volonté est l’effroi du penseur religieux.
Tous les idéals étant admis, si l’épouvante est un but, la pieuvre est un chef-d’œuvre. […]
Qu’est-ce donc que la pieuvre ? C’est la ventouse.
Dans les écueils de pleine mer, là où l’eau étale et cache toutes ses splendeurs, dans les creux de roches non visités, dans les caves inconnues où abondent les végétations, les crustacés et les coquillages, sous les profonds portails de l’océan, le nageur qui s’y hasarde, entraîné par la beauté du lieu, court le risque d’une rencontre. Si vous faites cette rencontre, ne soyez pas curieux, évadez-vous. On entre ébloui, on sort terrifié.

Les Travailleurs de la mer, 1866. 

 

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