On connaissait le sous-préfet aux champs. Voici le Premier ministre en campagne. Non point électorale (encore que l’électeur à conquérir ne soit jamais loin du citoyen à convaincre), mais en campagne tout court. Cette fois dans le Cher, avec armes et bagages, c’est-à-dire un bataillon de conseillers et une poignée de ministres. L’exercice n’est pas neuf. En décembre 2017 déjà, le chef du gouvernement avait transporté ses pénates dans le Lot, de Cahors à Rocamadour, en passant par Figeac et Biars-sur-Cère. Pour son escapade de printemps, Édouard Philippe a choisi un département dont la quasi-totalité des axes routiers sont bidirectionnels, comprenez qu’ils se verront appliquer l’abaissement à 80 kilomètres-heure de la vitesse maximale à compter du 1er juillet. De quoi nouer quelques dialogues vigoureux avec la population concernée. D’autant que là encore, le programme concocté a été copieux, du marché aux bestiaux de Sancoins aux visites dans les fermes du cru, sans oublier une maison de santé modèle, un laboratoire et un centre de ressources technologiques (à Bourges). Puis un détour par l’abbaye de Noirlac, tourisme culturel oblige. Le but de ce déplacement, qui prévoyait aussi une étape à Vierzon (oui, le même que chantait Brel : « T’as voulu voir Vierzon / Et on a vu Vierzon »), était clairement annoncé : « Se confronter aux Français et aux questions qu’ils se posent dans les politiques gouvernementales », dixit l’entourage du Premier ministre.

Se confronter pour ne pas avoir à s’affronter. Se voir de près, les yeux dans les yeux, apporter, au-delà du symbole, une attention toute particulière au monde rural « pour trouver des solutions innovantes auxquelles on ne pense pas à Paris » (encore selon l’entourage), l’ambition est légitime. À condition qu’elle donne lieu à des actions concrètes obéissant à un dessein réel pour ce qu’on appelle aujourd’hui les territoires. Le chemin est encore long. Dans ce numéro du 1 consacré aux nouveaux acteurs de la ruralité, on voit coexister et parfois s’opposer mille façons de vivre et de faire vivre ces morceaux de France qui échappent aux grandes villes. Et on comprend avec le sociologue Nicolas Renahy que le phénomène de métropolisation laisse peu de place à une perception fine de la spécificité et des besoins des habitants de ce qu’on appelle un peu vaguement « la campagne ». Des exploitants agricoles aux ouvriers, des néoruraux (et néo-néo) aux retraités, des petits bourgs aux structures toujours plus prégnantes de l’intercommunalité, il est difficile de donner un visage lisible à la ruralité. L’enjeu est pourtant là : connaître ce qui se joue loin des cités mastodontes qui captent la lumière et le gros des crédits. Pour que ne se développe pas, à côté d’une France voulue en marche au sommet de l’État, une France en marge, laissée pour compte faute d’être comprise. Une révolution silencieuse a commencé, qui remodèle pays et paysages. À nous de savoir l’entendre. 

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