Développement rural : la débrouille fait ses preuves !
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C’est un simple camping-car, qui se gare chaque jour dans un village différent de l’Aisne. Mais pour les habitants des 33 communes concernées, le véhicule représente un antidote à la fermeture des services publics. À bord, deux salariées de la communauté de communes Thiérache Sambre & Oise proposent leur aide pour une carte grise, un dossier de retraite ou une déclaration d’impôts.
« La Caf ou la CPAM ont des permanences dans le bourg, mais sur rendez-vous, avec parfois deux mois d’attente. Pour un renseignement, quand on ne maîtrise pas Internet, il faut aller à Laon ou à Saint-Quentin, à 40 minutes », expose Angélique Humbert, l’une des conductrices du camping-car. Sa collègue et elle disposent d’ordinateurs connectés et d’un contact privilégié, par téléphone, avec certaines administrations. Raymond Binot, qui bataillait avec son dossier de retraite agricole, a gagné de précieuses demi-journées grâce au SPI (service public itinérant). « La MSA [sécurité sociale agricole], c’est à Beauvais, ça fait loin ! Et puis j’élève des vaches laitières, je suis pris matin et soir. Là, vu qu’ils viennent dans tous les villages voisins, c’est facile. » En un an, le nombre d’usagers du camping-car est passé de 50 à 100 par mois en moyenne. Il fait même des émules, du Gers aux Alpes-Maritimes. « Dans le Morbihan, ça va être mis en place, ils ont acheté leur camping-car au même endroit que nous », sourit Angélique Humbert.
Le développement rural a quelques principes de base. Assurer un service public, par exemple, y coûte plus cher que dans les zones densément peuplées. « C’est pour ça qu’il y a autant de systèmes alternatifs et de micro-solutions », précise Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France. La société Atchoum propose ainsi aux collectivités un service de covoiturage solidaire. Les chauffeurs sont des bénévoles du village, dédommagés pour leurs frais. Dans le Territoire de Belfort et le Haut-Rhin, des dizaines de trajets s’organisent ainsi chaque semaine. « Des jeunes vont à des entretiens d’embauche, des personnes âgées chez le médecin ou au marché. C’est beaucoup plus souple et moins coûteux qu’un service de bus public », souligne Fabrice Leblon, le cofondateur de la société.
En Seine-et-Marne, c’est une association qui organise le service : les volontaires d’Entraide Déplacements conduisent les personnes âgées à leurs rendez-vous et livrent des repas au domicile des plus isolées. C’est le deuxième principe du développement rural : « Sans le bénévolat, rien ne fonctionne », assure Cédric Szabo. Comparées à leur équivalent en ville, les actions sportives ou culturelles du rural sont très économes en argent public. Dans des villages de Brie, au début du printemps, le Festi’Val Bri’Art attire sous son chapiteau 10 000 personnes en cinq semaines de programmation. C’est l’un des festivals d’art vivant les plus longs du monde, pour un budget d’environ 170 000 euros. « Nous sommes une petite équipe de salariés qui déplaçons un peu des montagnes. Et beaucoup de bénévoles donnent un coup de main », expose Christophe Thiry, metteur en scène et coordinateur de l’événement pour la communauté de communes Val Briard.
Autre richesse insoupçonnée des communes rurales : le bâti. Gréalou, dans le Lot, avait proposé de loger gratuitement pendant un an une famille qui scolariserait au moins deux enfants dans le village. Le logement communal a trouvé preneur et l’école a été sauvée. À Graçay, dans le Cher, l’immobilier sert plutôt à appâter les commerces. Sur la place pavée, un boucher s’est installé en crédit-bail dans un local rénové aux frais de la mairie. Plus loin, une société de transport a investi un ancien hangar selon la même formule, et embauché 25 personnes. « Sur les 42 commerçants et artisans, une dizaine sont liés à la mairie pour leurs locaux, et ça crée de l’emploi, précise le maire, Jean-Pierre Charles. Dans le développement rural, il faut commencer par tout en même temps », poursuit cet élu local qui est revenu sur son parcours et ses engagements dans le livre J’ai voulu planter un oranger : du Quartier latin aux nouvelles ruralités (Valmont, 2017).
Dans le Lot ou à Amiens, ce sont les chambres de commerce et d’industrie qui innovent, en misant sur l’emploi des époux. « Les cadres dont le conjoint ne trouve pas de travail ont tendance à repartir. Mais si on explique à un candidat, lors de son entretien d’embauche, que la recherche d’emploi de sa femme dans la région sera facilitée, cela aide à le convaincre », explique Julie Jammes-Duchesne, de la CCI du Lot.
Cependant, pour la fermeture des gares ou des maternités, ou la mauvaise connexion Internet, la bonne volonté des acteurs locaux ne peut pas faire de miracles. « Les communes rurales doivent se débrouiller pour financer l’installation de la fibre. Sur notre secteur, on va couvrir moins de 3 000 habitants et ça va coûter deux millions d’euros ! », se désole une élue en charge du numérique.
Autre limite au dynamisme des villages : beaucoup d’initiatives reposent sur la bonne volonté, volatile par nature. « Nous avons devant nous dix ou quinze ans de période bénéfique, avec une jeune génération qui s’investit. Mais les pouvoirs publics doivent prendre le relais pour généraliser les expériences réussies, sinon les forces vont s’épuiser », estime Dominique Royoux, directeur du laboratoire Ruralités à l’université de Poitiers.
Si les acteurs s’associent – de l’Agence régionale de santé aux mutuelles, en passant par les communes –, le rural peut même inverser la désertification médicale, comme le prouve l’initiative Païs, dans le Loir-et-Cher. Ici, personne n’a construit de coûteuses maisons de santé. Simplement, la vingtaine de généralistes du secteur se sont organisés pour assurer, à tour de rôle, la permanence de soins, de 8 heures à 20 heures. « Si un médecin veut aller chercher ses enfants à l’école tous les jours, il le peut. Ses patients seront vus pas un confrère, ils n’iront pas aux urgences pour une grippe », explique le docteur Isaac Gbadamassi, ancien chef du Samu et initiateur de Païs.
Un secrétariat médical commun se charge aussi du filtrage des appels et de l’administratif. Les médecins dégagent ainsi plus d’une heure par jour, qui leur permet de mener des actions de prévention sur l’obésité ou le diabète, par exemple. Parmi les retombées chiffrées, 14 % d’hospitalisations en moins pour les personnes diabétiques, et des passages aux urgences en baisse d’un tiers pour les habitants du secteur. « Païs coûte environ 80 000 euros par an pour dix médecins, mais fait économiser cinq fois plus à la collectivité ! », s’enthousiasme Isaac Gbadamassi.
De la Charente-Maritime à l’Île-de-France, le médecin vante sa solution, qui va bientôt se dupliquer dans le Béarn. Quant au Loir-et-Cher, il voit revenir une espèce qu’il croyait disparue : cinq jeunes médecins ont choisi le secteur pour visser leur plaque de généraliste.
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