Je n’ai jamais peur en descente. J’ai un sentiment de maîtrise, même si c’est une vue de l’esprit. En course, on prend beaucoup de virages à l’aveugle, avec des revêtements un peu hasardeux. Mais au sortir d’un virage, je pense souvent que j’aurais pu passer plus vite. Quand la bataille fait rage dans le col, l’altitude aidant, on n’a pas toutes ses facultés d’attention une fois le sommet franchi. C’est bouleversant de passer soudain de 15-20 kilomètres heure à plus de 60, 70, 80 et parfois plus de 90 kilomètres heure. Ce ne sont plus les mêmes sensations. On ne tient plus le cintre au même endroit – on a les mains en bas du guidon –, le vent nous balaie le visage, on doit retrouver les sensations de freinage. La transition est difficile, surtout quand l’effort a été total dans la montée. Descendre demande une totale lucidité.

C’est aussi très grisant. On est en souffrance et tout d’un coup, après la bascule, les voitures ne peuvent plus nous suivre. On arrive même à lâcher les motos.

Je garde un excellent souvenir de la descente de Pra Loup, dans les Alpes, même si elle est dangereuse et sans échappatoire, avec sa route étroite et un précipice sur le côté. Et aussi de la Dent du Chat (Savoie), avec de grosses épingles qui demandent de gros freinages et une capacité de relance importante au sortir des virages. En descente, il faut freiner le plus tard possible, sans à-coups, gérer sa vitesse juste avec le frein arrière pendant la courbe, puis relancer à la sortie comme un sprinteur. C’est un effort très énergivore de relancer la machine, absolument antonyme avec l’idée de se laisser porter par la gravité et de se relaxer après la montée. Dans une étape de quatre ou cinq cols, il est impossible de faire toutes les descentes à bloc. C’est trop exigeant, ces micro-sprints de 5 à 10 secondes à la sortie de chaque épingle. Il faut bien penser à mettre le bon braquet et jouer du dérailleur à mi-courbe pour ne pas se retrouver planté en fin de virage.

Dans ces moments, après la surchauffe de l’ascension, même si l’effort est intense, j’apprécie de sentir que mon corps se rafraîchit. Le plus excitant, c’est quand je vois les motos de la course devant nous, conduites par de très bons pilotes. S’ils n’arrivent pas à nous distancer, je peux anticiper les courbes en fonction de leurs feux arrière qui s’allument. Ils me servent de points de repère pour le freinage. J’ai remarqué que je suis bien meilleur dans les descentes que je ne connais pas, preuve du plaisir que je prends dans cet exercice. Cette marge d’improvisation que je me laisse m’a toujours servi, je ne suis jamais allé à la faute, j’ai l’impression d’optimiser mes capacités. Sur les terrains que je connais, j’ai trop tendance à anticiper les pièges, les virages dangereux. Je suis davantage sur la réserve, c’est paradoxal.

En descente, bien plus que pendant l’ascension, on est en mouvement perpétuel. On s’assoit sur le cadre, on se remet sur la selle pour virer, on relance en danseuse dans la courbe. La posture est douloureuse, le muscle se contracte, se durcit, la sensation d’inconfort s’installe vite. Quand on dépasse 60 kilomètres heure, pédaler n’est plus intéressant. On recherche l’aérodynamisme. Il faut se mettre le plus en boule possible, on n’est pas à l’abri des soubresauts de la route.

Mon souvenir de descente le plus dramatique est celui de la Dent du Chat, dans l’étape de Chambéry du Tour 2017. Richie Porte s’est fracturé la clavicule dans une embardée juste devant moi. J’étais en queue d’un petit groupe, car je savais que je n’étais pas dans mon état normal. J’étais en dette d’oxygène, l’effort avait été si intense. Mes réflexes étaient altérés. Ce qui m’a sauvé, c’est de m’être recalé derrière avec une distance de sécurité. La vitesse à laquelle on dévalait la pente était telle que la moindre faute se payait cash. J’ai pu éviter la chute et j’ai repris confiance au fil des lacets.

Pour ce Tour 2020, je n’ai pas voulu pousser les reconnaissances aussi loin que par le passé, histoire de sublimer l’inconnu. L’arrivée au puy Mary me tient très à cœur. Ce sont mes routes d’enfance. Le départ sera donné près de chez moi à Clermont-Ferrand, on arrivera vers chez ma grand-mère… et on abordera dans les derniers kilomètres une grande difficulté avec deux fois une ascension de 3 kilomètres à plus de 10 %. Côté descente, celle du Turini, pourrait être propice à de vrais écarts. Celle aussi de la Madeleine. Sur le Dauphiné, je me suis servi de ce col plusieurs fois comme tremplin pour faire de beaux coups… 

Conversation avec Éric Fottorino

 

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