Depuis que le Tour est Tour et que la montagne figure au menu des géants de la route, ils appartiennent à ce lignage de coureurs qui fascinent autant qu’ils inquiètent. Surtout leurs adversaires collés au bitume par les lois universelles de la gravité, quand eux s’élèvent jusqu’aux cieux comme mus par une force divine. Grimpeur. Ce mot (flanqué de l’adjectif pur) raconte une histoire de style, de résistance, d’air qui se raréfie et de cardio qui s’emballe. Une noblesse du vélo aussi, une sorte d’aristocratie qui se lève sitôt que la route s’élève. Il suffit d’évoquer le souvenir de ces légendes pour qu’apparaissent monts et merveilles, exploits et drames, souffrances inhumaines, nœud coulant des lacets qui prennent à la gorge, coupent le souffle et cisaillent les jambes. Grimper est un duel entre l’homme et la pente, pas étonnant que les supporters tracent à la peinture blanche, à même la peau de la route, les noms de leurs héros. L’empreinte que laissent les grimpeurs en montagne reste longtemps après que la pluie, la neige et les ans ont effacé les vivats. Dites Coppi le Campionissimo, dites Vietto, l’ancien groom du Majestic de Cannes devenu sauveur de son leader Antonin Magne dans le Portet-d’Aspet, dites Robic, alias Biquet ou Tête de cuir, dites Bahamontes, connu jadis comme l’Aigle de Tolède, ou Gaul, l’Ange de la montagne, dites encore Ocaña, Van Impe, Thévenet, Hinault, ce diable de Pantani, et tant d’autres… surgiront alors sans tarder des silhouettes aux joues creusées, des ­Giacometti vivants mais presque morts dans l’effort intense face aux ogres dévoreurs de cyclistes que furent l’Aubisque et le ­Tourmalet, le Galibier, l’Izoard, l’Alpe d’Huez, le Ventoux, le puy de Dôme aussi – quand il se grimpait encore – où ­Poulidor fut à deux doigts de régler son compte à Anquetil un après-midi de juillet 1964. Des maillots linceuls de gloire apparaîtront, le blanco celeste de la Bianchi porté par Coppi, ou le damier endeuillé de Simpson rendant son dernier souffle sur la caillasse brûlante du Ventoux.

Depuis ces grandes heures de la montagne, quand les sommets servaient de juges de paix pour attribuer les honneurs, le maillot jaune des cracks, de Louison Bobet à Eddy Merckx, puis le titre de roi des grimpeurs avec le maillot à pois apparu en 1976, les rouleurs sont devenus meilleurs en côte. Des pelotons entiers se sont mis à avaler les cols comme qui rigole, ou presque. Alors les organisateurs ont inventé d’autres difficultés, des plus raides, des plus traîtres, la Planche des Belles filles, les lacets de ­Monvernier et, cette année, le col de la Loze, qui ressemble à un coup de trique, une ancienne piste de ski goudronnée, sans un virage pour souffler. Pour que demeure la légende des purs grimpeurs. 

 

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