C’était l’attraction de la présentation du Tour 2020, le 15 octobre dernier. Le col de la Loze, avec sa bande de goudron serpentant dans les alpages au-dessus de la station de Méribel, était présenté en grande pompe par Christian Prudhomme comme « le prototype du col du xxie siècle ». « C’est un col comme je n’en avais jamais vu, témoigne aujourd’hui le directeur du Tour de France. La route a été conçue pour le plaisir des seuls cyclistes. Quand vous faites une route pour les voitures, vous êtes obligés de lisser la pente, même lorsque celle-ci est forte. Dans le col de la Loze, c’est tout à fait différent, avec une succession de murs dépassant les 20 %, le tout entre 1 800 et 2 300 mètres d’altitude. Jamais le Tour de France n’avait proposé une telle ascension. »

Futur classique du Tour, le col de la Loze servira de juge de paix d’une édition d’ores et déjà historique : depuis 1958 la course n’avait pas fait l’impasse la même année sur le triptyque Tourmalet-Galibier-Alpe d’Huez. En lieu et place de ces ascensions mythiques, les organisateurs sont allés dénicher des montées inédites, aux noms qui fleurent bon la sueur et l’altitude : la montée de la Selle de Fromentel dans le Jura, le col de la Lusette dans les Cévennes, le col de la Hourcère dans les Pyrénées… Autant d’ascensions qui partagent le goût de la nouveauté, mais aussi des pentes souvent irrégulières, avec des passages nettement plus raides que dans les grands cols alpins. « Aujourd’hui, les coureurs sont devenus si puissants que seules les pentes très raides permettent de faire la différence. Il n’y a que comme ça qu’on pourra retrouver des combats épaule contre épaule, où les champions sont seuls, livrés à eux-mêmes, sans leurs équipiers. »

Patron du Tour depuis 2007, Christian Prudhomme n’a pas oublié la montée de l’altiport de Peyragudes, il y a trois ans, et ces images d’un Christopher Froome à la dérive, zigzaguant sur une pente à 18 % avant de lâcher plus de vingt secondes à ses adversaires en deux cents mètres. Depuis une quinzaine d’années, lui et son équipe, le directeur technique Thierry Gouvenou en tête, arpentent les routes de l’Hexagone pour mieux sortir des sentiers battus et casser la monotonie de la course. « Je suis obsédé par l’idée de retrouver le duel Anquetil-Bahamontes de ma jeunesse, raconte Prudhomme. Un grand rouleur, qui prend du temps en plaine et contre-la-montre, opposé à un grand grimpeur, qui domine en montagne. Mais aujourd’hui, les monstres de la piste ont un si gros moteur qu’ils ne lâchent plus sur des ascensions roulantes, et peuvent même l’emporter. Et si vous ajoutez à cela la puissance d’une équipe comme l’ancienne Sky, où les équipiers sont presque aussi forts que les leaders, vous avez une course cadenassée et sans émotion. Il est donc urgent d’aller chercher d’autres routes, d’autres cols. La volonté n’est pas de durcir la course à tout prix, mais de varier dès quon le peut. » L’apparition de la montagne dès le deuxième jour cette année, sur les hauteurs de Nice, avec le col de Turini, relève de cette logique. Idem pour la montée du plateau des Glières, sur une route en partie non goudronnée – façon de rappeler que les ascensions des années 1960 étaient souvent pratiquées sur des chemins de montagne. « Ces routes qui ne “rendent pas”, ça apporte une autre difficulté, qui peut plaire aux purs grimpeurs. Quand on est passés l’an dernier par le col des Chevrères, j’avais demandé aux élus de ne surtout pas changer le revêtement ! »

Ces pentes nouvelles sont venues réveiller des premières semaines parfois lassantes à force d’être trustées par les grands fauves du sprint. « Les champions, aussi, font évoluer notre réflexion, témoigne Prudhomme. L’émergence d’un Julian Alaphilippe, capable de dynamiter un peloton en quelques hectomètres grâce à son punch et à son audace, offre d’autres perspectives : on sait dorénavant qu’on peut prévoir un raidard à cinq ou dix kilomètres de l’arrivée et penser qu’il peut se passer quelque chose, comme à Épernay ou à Saint-Étienne. » Les frissons de l’an passé sont venus rappeler que la course pouvait se jouer ailleurs que dans les grands cols, que le terrain de jeu des grimpeurs n’était pas limité aux seules Alpes et Pyrénées. Cette année, le Tour fait ainsi la part belle au Massif central, au Jura ou aux Vosges, théâtre du contre-la-montre final à la désormais célèbre Planche des Belles Filles. Les années précédentes avaient déjà permis de tester des arrivées en côte à Mûr-de-Bretagne, dans les Côtes-d’Armor, ou en haut du mur de Huy, dans les Ardennes. Des montées plus courtes, mais aussi plus explosives que les cols traditionnels. « Le col de la Lusette, par exemple, sera intéressant, car c’est une route très étroite, il y aura donc une bagarre terrible pour être dans les premières places au pied. De toute façon, nous n’avons pas, en France, de montées avec des pentes de 20 % sur des routes de huit mètres de large. Il faut donc accepter, pour avoir des pentes très raides, d’aller sur des terrains nouveaux. » Y compris en cassant les habitudes de cette énorme machine qu’est le Tour, avec ses milliers de spectateurs, son ballet de voitures et de motos ou sa légendaire caravane publicitaire. « Avant, on avait l’habitude de dire qu’il fallait que tout passe pour que les coureurs passent, confirme Christian Prudhomme. Aujourd’hui, on a changé de paradigme, on ne s’interdit plus les mêmes routes qu’avant. » Et de citer lapparition en course du col de Sarenne, des lacets de Montvernier ou du Mur de Péguère, interdits au public pour des raisons de sécurité ou de protection de l’environnement. « Notre boussole, c’est la recherche de l’émotion. Et pour l’atteindre, il faut rendre la montagne aux champions. » 

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