Où vous situez-vous sur l’échiquier politique ?

Je ne me situe pas sur l’échiquier politique, et moins encore par rapport à un clivage droite-gauche dont on constate tous les jours un peu plus le caractère obsolète. Je ne suis pas un acteur de la vie politique, mais un intellectuel qui s’intéresse principalement à la philosophie politique et aux sciences sociales. Mes derniers livres portent sur le Traité transatlantique, la théorie du genre, l’idéologie des droits de l’homme, la place de l’homme dans la nature, la décroissance, le socialisme de Georges Sorel et Édouard Berth. Le prochain aura trait au populisme. 

Où en est aujourd’hui la Nouvelle Droite en tant qu’idéologie ?

Ce qu’on a très improprement dénommé Nouvelle Droite n’est pas une idéologie, mais un courant de pensée. Son principal organe, le magazine Éléments, en vente dans les kiosques tous les deux mois, s’emploie à favoriser de véritables débats, à donner la parole à diverses personnalités (Pierre Manent, Michel Onfray, Jacques Julliard, Jean Clair...) et à accélérer la mise en place de nouveaux clivages. Le dernier éditorial que j’y ai publié porte un titre optimiste : « La fin du capitalisme ».

Considérez-vous que vos idées ont gagné, que la droite classique se les est appropriées, en particulier la droite incarnée par Nicolas Sarkozy ?

Ce que j’ai fait depuis un demi-siècle n’a pas été inutile. Les idées ont germé, la parole s’est libérée, la banquise a commencé à fondre (réchauffement climatique ?). Le problème est qu’on n’est pas propriétaire des idées qu’on a lancées. Mes idées auront « gagné » lorsque nous serons sortis de la métaphysique de l’illimité, de la logique de suraccumulation et de l’axiomatique de l’intérêt, c’est-à-dire lorsque le capitalisme libéral aura définitivement succombé à la dévalorisation générale de la valeur. Ce n’est pas tout à fait pour demain. 

Qui sont à vos yeux vos héritiers intellectuels, ou ceux dont vous vous sentez le plus proche ? Les retrouvez-vous à Valeurs actuelles ?

Comme disait René Char : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » ! Ce dont je me sens aujourd’hui le plus proche (la réciproque n’est pas nécessairement vraie), c’est de la théorie de la décroissance, des travaux du Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (MAUSS), de la théorie néomarxiste de critique de la valeur (Robert Kurz, Moishe Postone, Anselm Jappe). Valeurs actuelles ? Depuis que le titre est passé sous contrôle libano-sarkozyste, il y est apparemment interdit de parler de mes livres1.

Vous reconnaissez-vous chez certains leaders de la droite, parmi les candidats à la primaire, et, si oui, lesquels ?

Face à la détresse sociale, à la précarité et au chômage, je constate qu’ils n’ont que des solutions libérales à proposer. Leur modèle, c’est l’abominable Margaret Thatcher. Ce n’est donc pas d’eux qu’il faut attendre la restauration du commun – cet « espace-entre-les-hommes » dont Hannah Arendt faisait le lieu de rencontre des libertés.

Quels sont vos désaccords ou vos différences marquantes avec l’idéologie du FN de Marine Le Pen ?

J’approuve la réorientation de son programme économique dans un sens antilibéral, mais je lui reproche son jacobinisme (je suis régionaliste). Je ne suis pas non plus de ceux qui confondent l’Union européenne avec l’Europe politique (je suis fédéraliste européen). Mais je pense surtout que, depuis sa reprise en main par Marine Le Pen, le Front national se trouve confronté à une alternative simple : être un parti de droite ou devenir le parti du peuple. Il aurait tout intérêt, à mon avis, à s’orienter dans la seconde direction.

Vous retrouvez-vous dans la ligne dite Buisson ?

Je ne sais pas ce que c’est que la ligne Buisson. Je ne connais que La Ligne générale (Eisenstein, 1929) ! Patrick Buisson me paraît surtout être, comme François Mitterrand, un formidable personnage de roman.

Êtes-vous favorable à l’union des droites ?

L’« union des droites » est un vieux serpent de mer qui agite périodiquement les esprits paresseux. Henri Guaino disait récemment que, « si on appelle droite tout ce qui n’est pas la gauche, cela conduit à d’étranges regroupements tellement hétéroclites qu’ils ne peuvent déboucher sur aucune action politique commune ». Je partage cette opinion. 

Propos recueillis par E.F. 

1- Allusion au rachat du titre, en avril 2015, par le trio Iskandar Safa, Étienne Mougeotte et Charles Villeneuve.

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