On sait ce que signifient, en politique, les rébellions adolescentes – ces gamins qui boycottent les minutes de silence collectives et les commémorations nationales. Le 15 mars 1962, dans la classe de quatrième du lycée Pasteur de Neuilly, un élève refuse de se lever pour saluer les six enseignants victimes de l’OAS, près d’Alger, dont l’écrivain Mouloud Feraoun. Il a été élevé dans le culte de Charles Maurras et de l’Action française. Il s’appelle Patrick Buisson. Cinquante ans plus tard, devenu conseiller de Nicolas Sarkozy, on l’entend répéter sur les fameux enregistrements qui ont précipité sa chute : « Je suis le fils d’un camelot du roi. Je suis monarchiste, je suis royaliste. »

Patrick Buisson s’est rallié dès la fin des années soixante à la théorie d’Antonio Gramsci, philosophe marxiste italien, selon laquelle le pouvoir se conquiert par les idées et les grandes victoires sont d’abord culturelles. À l’Élysée, de 2007 à 2012, l’idéologue d’extrême droite a appliqué cette doctrine au cœur même du système. Un entrisme remarquable qui éclaire la manière subreptice dont s’est « décomplexée » la droite républicaine et « libérée » la parole politique et médiatique. Le logiciel de la droite française a été modifié par le haut.

« J’en parlais récemment avec Bruno Gollnisch : personne n’a vraiment réussi, à l’intérieur ou à l’extérieur du Front [national]. Patrick Buisson avec ses méthodes a été plus efficace », explique Martin Peltier, ancien collègue de Minute et aujourd’hui journaliste à Radio Courtoisie, dans un documentaire consacré au conseiller de l’ombre, La Résistible Ascension de Patrick Buisson. L’ancien maître auxiliaire d’histoire a toujours dédaigné les urnes (Jean-Marie Le Pen lui avait proposé de se lancer sous ses couleurs aux législatives de 1986). Il croise dans d’autres eaux. Le voilà directeur de la rédaction de Minute, entre 1983 et 1987 : en pleine euphorie mitterrandiste, ses unes chocs dénoncent, dans l’ordre, les communistes, les assistés, les « Juifs », les « Arabes », ou SOS Racisme.

Son viatique, c’est l’« union des droites », un bloc qui ne doit laisser aucune place à la droite des Républicains. À Valeurs actuelles, ce fin connaisseur de la carte et de l’histoire électorales parfait son expertise des sondages et expérimente un des usages des études d’opinion : imposer ou accompagner, via des questions adroites, des thèmes inédits. Sur les plateaux de LCI, il ouvre le règne des sondeurs, qui viennent remplacer ou accompagner les éditorialistes politiques. On se presse dans ses émissions où, sous couvert de technique, sa petite musique se fait désormais entendre dans un média de masse, la télévision.

Patrick Buisson a officiellement conseillé Philippe de Villiers et quelques autres, mais Sarkozy reste sa plus belle prise. Dès 2006, à l’insu des journalistes, Buisson devient son conseiller ès transgression. Il souffle ses mots au candidat pour mieux imposer sa stratégie : « siphonner » les voix du Front national. Le conseiller de l’ombre entre dans la lumière le 4 septembre 2007, quand le nouveau président lui remet la légion d’honneur. « Si je suis à l’Élysée, c’est grâce à Patrick Buisson. »

C’est lui qui impose ensuite le concept d’identité nationale dans le discours politique – qui devient même un ministère – et pousse Nicolas Sarkozy à invoquer les « racines chrétiennes de la France ». Bien avant la mobilisation des militants anti-mariage gay de la Manif pour tous, le conseiller sent monter un « populisme chrétien  » et conseille à Nicolas Sarkozy d’afficher les symboles d’une France catholique dont l’identité serait menacée par l’islam.

« Il faut mener une campagne antépathe » – sur l’air du « c’était mieux avant » –, répète le conseiller au président. La petite musique de ceux qui veulent que la France cesse de se flageller est déjà à la mode, mais c’est Buisson qui remet à l’honneur la nécessaire réécriture du « roman national » – expression reprise par François Fillon début septembre. Le conseiller de Nicolas Sarkozy a prudemment préféré réclamer en 2007 la tête de la chaîne Histoire plutôt qu’un bureau à l’Élysée. Dans son bureau de la tour TF1, il veut dépoussiérer les récits du passé de l’historiographie communiste, dit-il. 

Il pousse les mêmes thèmes auprès de Nicolas Sarkozy : au choix, éloge de Jeanne d’Arc ou glorification de la « résistance française » en Algérie avant les accords d’Évian (thème de son mémoire de maîtrise et de plusieurs de ses livres). Une rhétorique remise au goût du jour, ces derniers mois, par des chroniqueurs ou des élus comme Robert Ménard, le maire identitaire de Béziers. Buisson revisite aussi la Collaboration, ouvrant la porte à ceux qui, comme Éric Zemmour, se mettent à contester les travaux de l’historien Robert Paxton et reviennent au vieux système de défense vichyste du « bouclier ».

Pour la « primaire ouverte » qui s’annonce, Patrick Buisson n’a cette fois aucun poulain. En attendant un jour Marion Maréchal-Le Pen ou Laurent Wauquiez, les mieux à même de porter ses idées, il ne souhaite pour l’instant que la mort de Nicolas Sarkozy. L’ombre du « mauvais génie » continue pourtant de planer sur la droite française. Après l’attentat de Nice, son complice Alexis Brézet parlait dans un éditorial du Figaro de l’urgence d’un « réarmement moral ». La buissonisation des esprits est réelle. 

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