De multiples passerelles avec le Front national
Temps de lecture : 5 minutes
Analyser la droite aujourd’hui et la diversité des positionnements que l’on rencontre dans son offre politique, c’est rechercher la place qu’elle occupe dans un espace politique traversé de profonds mouvements et de nombreuses tensions. Cette analyse doit être conduite non seulement par opposition aux préférences et valeurs des sympathisants ou électeurs de la gauche mais aussi par rapport à celles du Front national. L’espace idéologique des électeurs français est aujourd’hui structuré par un triangle que l’on appelle la « tripartition » entre la gauche, la droite et le Front national. Cet espace idéologique tripolaire perturbe en profondeur les structures partisanes de la France et sa vie politique qui ont longtemps reposé, sous la Ve République, sur un « bipartisme à la française » : deux blocs (la gauche et la droite) avec à l’intérieur de chacun un parti dominant et une forte diversité de partis alliés et souvent plus petits.
Il semble, pour le moment, que cet ordre électoral a vécu. Depuis la percée puis l’ancrage du FN dans notre vie politique, la question de la porosité entre les préférences et les valeurs politiques des sympathisants de la droite et de ce parti est devenue un enjeu majeur des stratégies et des différenciations internes à la droite. Les thèmes de l’identité et des frontières nationales sont ainsi au cœur de l’agenda politique de la droite aujourd’hui (cela était déjà le cas lors de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 avec le thème de la France et de son rapport à l’Europe). Cette orientation s’exprime avec force chez les candidats à la primaire de la droite (« et du centre ») ; elle structure fortement leurs oppositions.
Pour comprendre ce qui cimente et différencie aujourd’hui « les droites », il faut tenir compte d’une évolution majeure de la vie politique en France mais aussi en Europe. Nos systèmes partisans sont perturbés en profondeur, depuis les années 1980-1990, par une véritable « diffraction » qui déforme les structures politiques héritées du XIXe siècle sans pour autant les détruire et les remplacer. Une seconde dimension est ainsi apparue aux côtés de la différenciation gauche-droite : elle oppose les valeurs politiques de la « société ouverte » à celles de la « société fermée ».
Très largement lié à l’impact de l’intégration européenne et de la globalisation dans les profondeurs économiques et culturelles de nos sociétés, ce récent clivage oppose de nouveaux « perdants » à de nouveaux « gagnants ». Si l’entrepreneur pouvait être considéré comme un « gagnant » du capitalisme hérité du siècle passé, le petit entrepreneur local et faiblement intégré aux marchés européens ou mondiaux peut-être qualifié de « perdant » de ce nouveau monde où le capital culturel, social, relationnel devient plus important que le capital économique. Si la droite défend toujours les valeurs de l’entreprise, il lui est devenu plus difficile de défendre à la fois la grande entreprise mondiale, le commerçant-artisan, l’auto-entrepreneur et le paysan.
Ces contradictions se révèlent dans toute leur ampleur si l’on analyse les préférences politiques des sympathisants de la droite, du centre et du Front national grâce à l’imposante enquête électorale ménée par le CEVIPOF de Sciences Po depuis l’automne 2015. Elle montre que tout un ensemble de préférences économiques unit les sympathisants de droite et du centre : la réduction des dépenses ou de l’action publiques en matière sociale, le nombre de fonctionnaires. Sur ces thèmes (comme sur celui des licenciements plus faciles), les sympathisants de la droite et du centre sont assez d’accord. En revanche, les préférences politiques en matière de contrôle et de réduction des flux migratoires ou sur les thèmes sécuritaires (nombre d’étrangers autorisés à résider en France, sévérité des peines pour les délinquants) font relativement éclater cette forte homogénéité. Sur cette seconde dimension, on constate une plus grande proximité des sympathisants LR avec ceux du FN qu’avec ceux du Modem et même de l’UDI. Si les sympathisants centristes sont plus « sécuritaires » que les sympathisants de gauche, ils ne le sont pas autant que les sympathisants de la droite et du FN.
Les préférences politiques sont articulées à des valeurs politiques et l’on retrouve la même structure en deux dimensions si l’on analyse ces dernières. Tout ce qui concerne l’immigration ou la tolérance culturelle se traduit par de fortes différences entre d’une part les sympathisants LR, Debout la France et FN et d’autre part les sympathisants de la gauche mais aussi du Modem. En revanche, les attitudes en matière socio-économique (par exemple, « pour plus de justice sociale, il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres ») font apparaître une seconde dimension qui voit les sympathisants du Modem revenir au sein de la droite et les sympathisants du FN s’écarter d’elle, voire se rapprocher de la gauche. La question de la « droitisation » de la droite n’a donc pas fini d’alimenter les débats sur ses perspectives stratégiques et l’élection de 2017 n’apportera pas de réponse définitive et univoque à cette question complexe.
« La droite radicale dispose de réseaux efficaces de mobilisation »
Florence Haegel
Quelles ont été les grandes inflexions idéologiques de la droite dite néoconservatrice ?
J’observe trois étapes. La première remonte à 1981. Avant ce tournant, il semblait un peu honteux de se dire « d…
[Valse]
Robert Solé
Est-il encore permis de dénoncer l’immobilisme de la classe politique française ? Tout bouge, au contraire. La gauche se droitise, la droite s’extrémise… Même Marine Le Pen ne tient plus en place : ses dernières déclaratio…
Conservation ou momification
Adèle Van Reeth
La méfiance à l’égard du présent ne date pas d’hier. Déjà dans l’Égypte ancienne, l’invention de l’écriture éveillait la suspicion quant à sa possibilité de transmettre un savoir véri…