Le rêve d’union n’a jamais été aussi près d’advenir
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Les débats autour de l’identité nationale depuis 2007 et du mariage pour tous en 2012 ont mis au jour des liens étroits entre la droite classique et une galaxie de mouvements plus radicaux, qui n’appartiennent pas pour autant au Front national. Comme souvent dans la vie politique française, il faut remonter au tout début des années 1980 pour entrevoir le moment où ces relations se tissent et s’organisent. Après l’alternance de 1981, la nouvelle opposition, assommée par la défaite, peine à se ressaisir. Une poignée de ses sympathisants et de ses cadres tentent d’organiser une contre-offensive intellectuelle face au gouvernement « socialo-communiste ». Leurs noms : Alain de Benoist, Louis Pauwels, Patrice de Plunkett, Jean-Claude Valla, Patrick Buisson, Gérard Longuet, Jean-Yves le Gallou, Alain Griotteray, ou encore Philippe de Villiers. Leurs clubs : le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), fondé en 1969, cœur du mouvement de la Nouvelle Droite dont Alain de Benoist est la tête pensante ; le Club de l’Horloge créé en 1974 par une demi-douzaine de jeunes énarques dont Yvan Blot, Jean-Yves Le Gallou et Henry de Lesquen, d’abord proches du RPR et de l’UDF avant d’évoluer vers l’extrême droite ; ou encore de petites associations comme Art et Lumière ou l’Alliance pour une nouvelle culture dont le secrétaire général est Philippe de Villiers. Leur rêve : fédérer un grand mouvement intellectuel et politique qui unisse l’ensemble des droites pour tuer dans l’œuf l’expérience socialiste. La pensée du marxiste italien Antonio Gramsci sur l’hégémonie est à la mode : pour vaincre politiquement, il faut d’abord remporter un combat culturel et imposer les idées de droite dans une société française gangrenée par le marxisme et la pensée de gauche.
Plusieurs nouveaux médias vont servir de porte-voix à cette ambition. La revue du GRECE, Éléments, est un cénacle exigeant à l’audience limitée, tout comme Item, fondé par Patrick Buisson, un ancien de Minute qui milite activement pour la réunification des droites. Incontestablement plus influent est Le Figaro Magazine créé en octobre 1978 par les très droitiers Louis Pauwels et Alain Griotteray. Sa rédaction va accueillir plusieurs membres du GRECE, dont Patrice de Plunkett et Jean-Claude Valla, qui deviennent respectivement rédacteur en chef adjoint et directeur de la rédaction, ou encore Alain de Benoist, qui y écrit sous pseudonyme. Sous leur férule,le Fig Mag devient une machine de guerre lancée contre le gouvernement socialiste et un outil de promotion des idées de cette droite que l’on n’appelle pas encore décomplexée. Ses chevaux de bataille sont l’anticommunisme, la lutte contre l’immigration et l’islamisation, la suppression du droit du sol ou le thème de l’identité nationale menacée d’affaissement, popularisé par une couverture de novembre 1985 montrant un buste de Marianne recouvert d’un voile islamique sous le titre : « Serons-nous encore Français dans trente ans ? »
Cette ligne va progressivement devenir celle de Valeurs actuelles, qui occupe aujourd’hui la place qui était hier celle du Fig Mag ou de Radio Courtoisie. On y retrouve généralement les mêmes signatures et les mêmes idées.
L’émergence du Front national lors des élections municipales de 1983 galvanise l’espoir d’une unification des droites. À Dreux, on assiste à l’élection d’une coalition RPR-UDF-FN, antichambre d’une alliance que l’on souhaite imminente. Patrick Buisson édite à cette fin un guide de l’opposition, sorte de bottin comprenant plus de 3 000 personnalités de droite et d’extrême droite, réédité en 1986 pour permettre la victoire la plus large possible aux élections législatives.
Des personnalités comme Jean-Yves Le Gallou quittent alors l’UDF, le RPR ou le GRECE pour rejoindre dès 1985 le parti de Jean-Marie Le Pen. Signe d’un certain succès dans la tentative d’union des droites, on retrouve parmi les 35 députés FN élus à l’Assemblée nationale lors de la première cohabitation de nombreux anciens membres du RPR et surtout de l’UDF – principalement issus du Parti républicain, dont la porosité avec les idées de la droite radicale est la plus marquée. L’affaire du « détail » en 1987, lors de laquelle Jean-Marie Le Pen évoque les chambres à gaz comme un « détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale », marque une rupture dans cette stratégie d’alliance et inaugure une longue période de diabolisation du Front national, dont les idées sont jugées incompatibles avec celles de la « droite républicaine ».
Les innombrables divisions idéologiques au sein de la galaxie réactionnaire minent le rêve d’unité avec la droite de gouvernement, surtout après la victoire de Jacques Chirac en 1995, farouchement hostile à une alliance avec le FN.
Alors que les partisans de l’union des droites croyaient devoir renoncer à leur projet, un nouveau personnage politique va redonner souffle et vie à leur fantasme. Dès 2002, Nicolas Sarkozy, ancien poulain de Charles Pasqua – lui-même sensible en son temps au thème d’une seule droite allant de Jean Lecanuet à Jean-Marie Le Pen – fait de l’union des droites une priorité, qui le mènera à la présidence de la République en 2007 avec le soutien du RPR, d’une majorité de l’UDF au sein de l’UMP, mais aussi d’une partie des électeurs du Front national dès le premier tour de l’élection. Derrière lui, on retrouve Patrick Buisson, l’un des premiers artisans de l’union des droites.
La « droitisation » de la droite peut commencer. Elle s’accélère à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, alors que le Front national entame depuis 2011 une stratégie de dédiabolisation sous la conduite de Marine Le Pen. Valeurs actuelles ou Le Figaro voient aujourd’hui émerger une nouvelle génération de journalistes « néoréacs » pour qui Alain de Benoist est un héros et les années 1980 une période de référence en la matière. La droite unie avait ses thèmes, ses réseaux, ses valeurs communes. Elle a enfin trouvé des visages populaires pour l’incarner, de nouvelles plumes pour la défendre. Si l’alliance n’est pas (encore) à l’ordre du jour, le rêve d’une droite unifiée par des valeurs communes n’a jamais été aussi près d’advenir.
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