Pas de bras, pas de basket. La vie sportive de Ryadh Sallem aurait dû s’arrêter à ce constat désabusé devant ses quatre membres aux extrémités atrophiées depuis sa naissance. Mais son audace et sa volonté de conquête ont tracté son corps au-delà de ses limites. Aujourd’hui, à 46 ans, ce sportif de haut niveau est devenu l’un des athlètes les plus éclectiques du handisport français avec un record du monde en relais quatre nages, puis trois titres de champion d’Europe de basket fauteuil. En septembre, le champion, devenu rugbyman en fauteuil, participera pour la cinquième fois aux Jeux paralympiques avec la ferme intention de rapporter le trophée manquant à son palmarès : la médaille olympique.

Dans les locaux de l’association Cap sport art aventure amitié (Capsaaa), qu’il a créée en 1995 pour promouvoir une image positive du handicap, Ryadh Sallem se déplace en fauteuil roulant. Quand il se lève grâce à ses prothèses, il mesure près de deux mètres et ses dreadlocks noires lui tombent jusqu’à la taille. Avec son keffieh caramel autour du cou, cet homme musculeux ressemble à un bédouin égaré dans le XVe arrondissement de Paris. « Le sport m’a appris à perdre et à gagner, et à respecter les règles. C’est le cycle de la vie ! dit-il. J’ai pris mon destin en main, même si mes mains ne ressemblent à rien. Ainsi, j’ai pacifié mes relations avec mon corps et avec les autres. » 

En ce soir d’entraînement, dans un gymnase à l’odeur de poussière et de transpiration, les roues des fauteuils s’entrechoquent pour provoquer la chute des rugbymen harnachés à leur monture de fer. Sur le parquet, deux équipes s’affrontent, composées chacune de deux défenseurs et deux attaquants. Pour pouvoir jouer, il faut être atteint aux quatre membres. Le rugby fauteuil est connu pour être un sport de combat collectif « très violent », précise Ryadh Sallem. « Les règles du rugby fauteuil empruntent au hockey, au basket, au football américain et au rugby », explique-t-il. En anglais, cette discipline ne s’appelle-t-elle pas murderball ? « Je fais du sport de haut niveau depuis 1996, je sais que le mental compte beaucoup. Je serai prêt au bon moment, je connais mon corps depuis bien longtemps », reconnaît Ryadh Sallem à trois mois des Jeux paralympiques de Rio.

Né à Monastir en Tunisie, sans jambe ni main à cause de la thalidomide, un sédatif et anti-nauséeux prescrit à l’époque aux femmes enceintes, Ryadh Sallem arrive en région parisienne à l’âge de deux ans. Alors que sa famille s’installe à Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne, il est pensionnaire de centres de rééducation fonctionnelle. Il y reste seize années. « J’ai passé des mois à me remettre d’interventions chirurgicales sous morphine afin que mes membres, coupés et bandés, poussent droit. » Lors de sorties au Cirque d’hiver, l’adolescent voit les jongleurs faire virevolter des balles en mousse de leur nez à leurs épaules sans les toucher de leurs mains. S’ils y arrivent, pourquoi pas lui ? « Le sport m’a fait sortir de l’hôpital et m’a permis de canaliser la violence que j’avais en moi. Comme j’avais seulement les moyens de m’acheter un maillot de bain, j’ai débuté par la natation tout en tapant dans un ballon de basket dès que je le pouvais. » En 1987, le cercle sportif des Invalides, à Paris, lui ouvre ses portes. 

Malgré une dyslexie diagnostiquée tardivement, Ryadh Sallem obtient un BEP en informatique-électronique, passe son permis de conduire, devient vendeur de coussins vibrants et gère la boulangerie familiale. « Adulte, j’aurais pu vivre d’une allocation pour personne handicapée et m’installer dans un centre, et puis quoi ? demande-t-il. Attendre la mort ? J’avais été suffisamment torturé, alors j’ai décidé de verser cette moitié de Smic à des organisations de solidarité internationale telles que Mobility international ou Handicap international et je suis devenu leur représentant. » Il voyage ainsi jusqu’au Maroc, au Congo-Brazzaville et à Wallis-et-Futuna. 

Sa carrière d’athlète de haut niveau se poursuit à la fois comme nageur et basketteur. Après quinze titres de champion de France de natation, il intègre l’équipe nationale de basket fauteuil puis de rugby fauteuil. Dans cette dernière discipline, il obtient le titre de champion de France en 2010 puis est sélectionné pour les Jeux de Londres en 2012. À cette date, les médias diffusent seulement une partie des épreuves de la journée mais, en 2014, les Jeux de Sotchi marquent un tournant dans la médiatisation des Jeux paralympiques avec une retransmission en direct et en intégralité des compétitions. « Le regard a changé. Avant, le handisport, c’était du social. Maintenant, c’est du sport. » 

Pour Ryadh Sallem, la grandeur d’une société réside dans le soin et l’accueil qu’elle réserve aux plus fragiles. « Je ne suis pas à plaindre, insiste-t-il avec la force tranquille de ceux qui n’ont plus rien à prouver. D’ailleurs, je ne comprends pas que des jeunes valides se suicident, ou refusent de se battre, dans un pays qui ne sera jamais parfait mais qui sauve des vies et donne les moyens d’être autonome. » Il trouve le temps de jouer au ballon avec son fils, même si les entraînements occupent toutes ses soirées et ses week-ends. Il s’est fêlé une côte et a déjà perdu une dent, mais une joie l’emporte sur toutes les autres : faire la nique au destin.

Vous avez aimé ? Partagez-le !