Comprendre ce qui se trame dans la tête des animaux relève d’un fantasme presque universel, source de légendes et de récits fantastiques. Et si les observations sur le sujet sont nombreuses, leur légitimité s’avère parfois douteuse, voire trompeuse, à l’image du cheval Hans le Malin, dont le propriétaire affirmait qu’il était capable de lire, d’écrire et même de réaliser des divisions. À cet égard, le destin de la gorille Koko représente à ce jour l’expérience la plus poussée dans ce domaine. 

Née en captivité en 1971 dans le zoo de San Francisco, elle est rapidement séparée de ses parents en raison d’une maladie et transférée dans les services de soins du zoo. C’est là que Koko, âgée d’un an, croise le chemin d’une jeune diplômée en psychologie de l’université d’Illinois, Francine Patterson. Celle-ci observe chez la gorille une sensibilité précoce pour la communication et le langage des signes rudimentaire employé par le personnel du zoo avec les animaux. Sur cette base, elle décide de lui enseigner de nouveaux gestes, développant une version revisitée du langage des signes américain qu’elle nomme GSL (Gorilla Sign Language), adaptée à la morphologie des primates. En 1976, plutôt que de restituer Koko au zoo, Patterson fonde la Gorilla Foundation qui lui permet de rassembler les fonds nécessaires pour acheter l’animal et poursuivre ses recherches. La petite équipe de chercheurs s’installe alors dans la commune californienne de Woodside, où Koko résidera toute sa vie. Aux côtés de Patterson, elle assimile plus de mille gestes différents et comprend environ deux mille mots. Des articles sont publiés dans la presse à son sujet et elle fait la une de National Geographic à deux reprises. L’une de ces couvertures, publiée en 1978, marque les esprits : réalisée par Koko elle-même, la photo la montre dans un miroir, appareil à la main. La primate de plus de 120 kilos gagne également en notoriété auprès du grand public dans les dernières années de sa vie grâce aux vidéos publiées par la Gorilla Foundation sur YouTube. Ses interactions avec ses chats ou des stars, comme Robin Williams en 2001, cumulent aujourd’hui des dizaines de millions de vues. Et l’annonce de sa mort, le 21 juin 2018, à l’âge canonique de 46 ans, ouvre la voie à de multiples nécrologies, aux détails souvent imprécis ou exagérés quant à ses capacités réelles.

Quel crédit en effet accorder aux travaux de Francine Patterson avec Koko ? Pour l’éthologue, la faculté de la gorille à tenir des échanges basiques, à mentir, à utiliser des concepts symboliques ou même à exprimer des réflexions sur des sujets profonds comme la mort, doit nous amener à repenser notre regard sur les grands singes et le lien que nous pourrions établir avec eux. Patterson a répété ses recherches avec deux autres gorilles, espérant – en vain – trouver un partenaire à Koko afin de voir si celle-ci aurait été ou non capable d’enseigner la langue des signes à ses petits. La communauté scientifique, elle, reste méfiante quant à l’expérience, critiquant le manque d’évaluation indépendante ou l’interprétation jugée biaisée, anthropomorphisée, de certains comportements. Une vidéo, publiée en 2015 lors de la COP21, symbolise les interrogations autour de la véracité des aptitudes intellectuelles de l’animal. Dans celle-ci, Koko semble alerter sur l’état de la planète, sommant les humains d’agir. Mais la vidéo, réalisée en plusieurs prises et avec un script, s’apparente plus à un outil promotionnel qu’à un véritable cri de détresse de la nature, dont Koko a été érigée au rang d’ambassadrice. Avec le recul, difficile d’affirmer si Koko avait réellement conscience de son influence et de la fascination qu’elle suscitait. Patterson en est en tout cas persuadée. Elle affirme ainsi que, lorsque Koko était jeune, c’était par une croix sur le torse qu’elle aimait se décrire. Un geste signifiant « reine » en GSL. 

 

OWEN HUCHON

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