Révérée par Trump, Musk et consorts, cette écrivaine américaine a profondément inspiré la pensée libertarienne. Dans son roman La Grève (1957), elle précise sa philosophie à travers le discours de John Galt, chef d’entreprise convaincu des vertus de l’« égoïsme rationnel », nous renseignant ainsi sur la pensée de ses adeptes.

 

« Si vous voulez avoir de l’estime pour vous, commencez par traiter en prédateur tout homme qui exige que vous l’aidiez. Cette exigence implique qu’à ses yeux votre vie lui appartient. Mais il y a plus détestable encore : que vous y consentiez ! Faut-il toujours aider son prochain ? Non, si celui-ci le revendique comme un droit ou une obligation morale à laquelle vous seriez soumis. Oui, si c’est votre désir, fondé sur la joie égoïste que vous procurent sa reconnaissance et ses efforts. Souffrir en soi n’est pas une valeur ; le combat de l’homme pour ne plus souffrir en est une, en revanche. Si vous choisissez d’aider un homme qui souffre, faites-le parce qu’il le mérite, ou parce qu’il fait ce qu’il faut pour aller mieux, parce qu’il a déjà prouvé qu’il était un être raisonnable, ou bien parce qu’il souffre injustement. Votre action deviendra alors un échange puisque les vertus de cet homme lui vaudront votre aide. Mais aider un homme qui n’a pas de vertus, l’aider uniquement parce qu’il souffre, accepter ses fautes, ses besoins comme des revendications, c’est accepter qu’un moins que rien détienne une hypothèque sur votre système de valeurs. Un homme qui n’a pas de vertus est un ennemi de la vie dont les agissements sont mortifères. L’aider, c’est cautionner ce qu’il a de plus mauvais en lui, c’est soutenir son œuvre de destruction. Que ce soit sous la forme de quelques cents ou d’un simple sourire qu’il n’a pas mérité, tout hommage à un moins que rien est une trahison envers la vie et tous ceux qui luttent pour sa préservation. C’est de ces cents et de ces sourires qu’est née la décadence de votre monde.

« Ne dites pas que ma morale est difficile à mettre en pratique, et que vous la redoutez autant que l’inconnu. (…) Si votre monde est en plein naufrage aujourd’hui, c’est parce que vous avez renié vos valeurs, vos amis, vos défenseurs, votre avenir, votre pays et vous-même.

« Nous – que vous appelez à l’aide aujourd’hui, mais qui refusons de répondre désormais – nous avons vécu parmi vous, mais vous n’avez pas su nous reconnaître. Vous avez refusé de réfléchir à ce que nous représentions. Vous n’avez pas su reconnaître la valeur du moteur que j’ai inventé et qui, dans votre monde, n’est devenu qu’un tas de ferraille. Vous n’avez pas su reconnaître le héros qui sommeillait en vous, et vous n’avez pas su me voir quand vous m’avez croisé dans la rue. Lorsque vous en appeliez désespérément à cet inaccessible esprit dont vous sentiez qu’il avait déserté votre monde, vous lui donniez mon nom, mais c’était à votre propre estime que vous en appeliez, en réalité. Vous ne retrouverez pas l’un sans l’autre.

 

« Tout hommage à un moins que rien est une trahison envers la vie »

 

« Quand, au lieu de reconnaître la valeur de l’intelligence, vous avez tenté de dominer les êtres humains, ceux qui se sont soumis n’avaient pas beaucoup de matière grise à aliéner, et ceux qui en avaient étaient de ceux qui ne se soumettent pas. Ainsi de cet entrepreneur de génie qui a endossé l’habit du play-boy et s’est mis à détruire ses richesses, préférant anéantir son patrimoine plutôt que de le céder sous la menace des armes. Ainsi du penseur, de l’homme de raison, qui a endossé le rôle de pirate pour défendre ses valeurs par la force contre votre force plutôt que de se soumettre à la loi de la violence. M’entendez-vous, Francisco d’Anconia et Ragnar Danneskjöld, mes premiers amis, mes compagnons de lutte, comme moi en rupture de ban ? Vous, en l’honneur de qui je prends la parole ce soir ?

« C’est ensemble que nous avons tous les trois commencé ce que je suis en train d’achever. Que nous avons résolu de venger ce pays et de libérer son âme prisonnière. Cette formidable nation a été bâtie sur les fondements de ma morale, sur l’inaliénable suprématie du droit de l’homme à l’existence, mais vous avez eu peur de le reconnaître et de devoir vous en montrer dignes. Vous avez été les témoins d’une réussite sans précédent dans l’histoire, et vous en avez pillé les effets, vous avez refusé d’en voir la cause. Malgré ces témoignages grandioses de la valeur humaine que sont les usines, les routes, les ponts, vous avez continuellement accusé ce pays d’immoralité, et taxé son progrès d’“avidité matérielle”. Vous n’avez cessé de vous excuser de la grandeur de ce pays auprès des apôtres de la famine institutionnalisée, auprès de ce pauvre va-nu-pieds mystique qui était l’idole de l’Europe décadente.

« C’était l’un ou l’autre : l’Amérique ou les mystiques »


« Cette nation – pur produit de la raison – ne pouvait survivre en se réclamant de la morale du sacrifice. Elle n’a pas été bâtie par des hommes qui se posaient en victimes ou qui demandaient l’aumône. Elle ne pouvait être fondée sur l’idée de séparation entre l’âme et le corps. Elle ne pouvait pas vivre selon une doctrine mystique prônant que tout est mauvais en ce bas monde et que ceux qui réussissent ne sont que des dépravés. Dès l’origine, ce pays a représenté une menace pour la vieille loi des mystiques de tous bords. Dans sa rapide et spectaculaire expansion, cette nation a montré à la face d’un monde incrédule à quelle grandeur l’homme pouvait aspirer, quel bonheur était possible sur terre. C’était l’un ou l’autre : l’Amérique ou les mystiques. Les mystiques le savaient, vous non. Vous vous êtes laissé contaminer par le culte du besoin, et ce pays s’est transformé en un géant dont l’âme aurait été remplacée par un gnome malfaisant, laissant ceux qui en étaient l’âme véritable travailler dans l’ombre pour vous nourrir en silence, dans l’anonymat, privés d’honneurs, rejetés, je veux parler des entrepreneurs. » 

Extrait de La Grève (Atlas Shrugged), 1957 © Les Belles Lettres, 2011, pour la traduction de Sophie Bastide-Foltz

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