En apparence, tout va bien. Les magistrats de l’ordre judiciaire n’ont jamais été aussi indépendants du pouvoir politique, et ils le manifestent dans l’usage qu’ils font d’enquêtes préliminaires toujours plus longues et dans des jugements assez vifs. Le budget de la justice a fait un bond de 8 %, ce dont les juges peuvent se réjouir. En apparence donc, tout va bien. Sauf que l’institution a très mal vécu la nomination place Vendôme d’Éric Dupont-Moretti, alias Acquittator, avocat pénaliste réputé. Sauf que ses 8 313 magistrats entretiennent avec l’exécutif un climat de crispation permanent. Sauf qu’ils subissent avec humiliation la paupérisation des tribunaux. La France alloue à la justice 69,5 euros par habitant quand nos voisins font nettement mieux : Allemagne (131 euros), Espagne (92), ­Belgique et Italie (83). Cela donne une idée du retard accumulé.

Mais les juges n’ont pas le monopole du malaise. Les citoyens se posent aussi bien des questions. La romancière Irène Frain, dans un récit saisissant à lire dans notre poster, raconte quels mauvais traitements la justice peut réserver aux justiciables, ces malheureux conduits une fois dans leur vie à s’y frotter. Brice Teinturier, spécialiste des sondages et de l’opinion, analyse pour nous les quatre reproches le plus souvent adressés à la magistrature : la lenteur, l’opacité, l’inefficacité et la dépendance. Un tableau préoccupant, pour ne pas dire inquiétant. Alors que les Français sont 77 % à avoir confiance dans l’armée ou 70 % dans la police, ils ne sont que 41 % à exprimer leur confiance en la justice (données du Cevipof). C’est dire si l’institution leur apparaît située en surplomb, lointaine et insensible. Injuste et décalée. Que vaut une décision rendue dix ans après les faits commis ? Que peut signifier une justice qui se présente comme un labyrinthe ? Et que dire de l’absence de communication entre les juges et les justiciables ?

En ce sens, le projet de loi visant à restaurer la confiance, dont le garde des Sceaux vient de livrer les grandes lignes (limitation de la durée des enquêtes préliminaires du parquet, diffusion de certains procès à des fins pédagogiques une fois rendue la décision définitive, etc.), est louable. Mais l’intention ne suffit pas. C’est toute l’architecture de l’institution qui mériterait d’être repensée et refondée sans que l’obsession de l’indépendance occulte les autres paramètres du chantier. Le juge Renaud Van Ruymbeke, qui a su incarner durant plus de quarante ans la figure d’un juge juste, nous l’explique à sa manière dans le grand entretien qu’il nous a accordé : le corporatisme et la lenteur sont les deux principaux ennemis de cette institution capitale. 

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