J’ai écouté les plaidoiries sans lassitude, parfois un tic nerveux dans l’épaule gauche. Une araignée au milieu du prétoire montait et descendait au bout de son fil, pareille au lustre compliqué des théâtres. Tout le monde, comprends-tu, saisissait l’allusion ; on aurait entendu voler une mouche. Les effets de manches des professionnels répandaient de grandes ondes d’un parfum d’amandes amères. Enfin j’ai trouvé ça particulier, je n’irai pas jusqu’à dire sui generis. Il y en a eu un à mort, trois à perpétuité, les autres se sont éclipsés sur la pointe du pied, avec de grands gestes de théâtre, derrière un trompe-l’œil élégant de volants de dentelles. Quand on a relevé le rideau pour la troisième fois, j’étais seul dans la salle à remercier le président, qui crachait des noyaux de cerises dans sa toque. Je te jure, c’était confondant.

 

Liberté grande © Éditions Corti, 1945

 

Héritiers du surréalisme, les premiers poèmes en prose de Liberté grande paraissent en 1946. Tous les paysages possibles sont pour Julien Gracq le lieu d’une rêverie, en autant de fantasmes et de libres associations. « Je te jure », dit-il au lecteur… Grande est la liberté de la poésie « envisagée comme une immense entreprise de métamorphose ». 

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