Pompidou ressuscité ! En politique, les morts et les retraités ont souvent raison, et toutes les récupérations de la mémoire de l’ancien président semblent permises. L’identification à ce chef d’État, personnage protéiforme, vient facilement dans le discours de ceux qui se verraient bien à la place qu’il a occupée.

À droite, la référence à Pompidou semble devenue un passage obligé pour les prétendants à la fonction présidentielle. On pense évidemment à Édouard Philippe, qui aime à rappeler l’appel de Rome, lancé en 1969 : depuis la capitale italienne, l’ancien Premier ministre de De Gaulle avait alors déclaré qu’il serait candidat à une élection présidentielle dans l’avenir « mais qu’il n’était pas pressé ». Citons aussi le cas de Xavier Bertrand, dont les proches pensent qu’il ferait un bon président « à la Pompidou », et celui de Laurent Wauquiez, qui disait en 2015 qu’il se « sentait très Pompidou » – sans que l’oncomprenne bien en quoi il pouvait se comparer à ce chantre d’une droite sociale. David Lisnard, l’encore méconnu maire LR de Cannes, qui prépare dans l’ombre une candidature à la candidature présidentielle, publie ces jours-ci un ouvrage sur le grand homme de Montboudif – un provincial (comme lui), qui s’est construit au mérite (comme lui) et défendait des objectifs politiques modestes, mais réalistes (comme lui), loin de la grandeur illusoire du général de Gaulle. Avant lui, Aurélien Pradié, le député LR du Lot en rupture de ban avec la ligne d’Éric Ciotti, avait vanté l’humanisme et la pondération de celui qui « aimait les Français avant de s’aimer lui-même ».

« Même Éric Zemmour sacrifie au plaisir de citer les petites phrases de Pompidou »

Plus surprenant, cette nostalgie gagne aussi la gauche, alors que le qualificatif de « pompidolisme » était historiquement une accusation de mollesse dans les rangs de cette famille politique. Nombreux sont ceux qui se plaisent à rappeler que le chef de file du RPF post-de Gaulle fut d’abord militant à la SFIO, comme son père, avant de basculer à droite. Et son grand défenseur est sans surprise François Hollande, lui-même élu de la Corrèze, voisine du Cantal de Pompidou. L’ancien président, qui partage avec Pompidou une bonhomie apparente, déclarait en 2019 que son prédécesseur avait inventé la « présidence normale » après de Gaulle et que, comme lui, ses principales difficultés politiques étaient le fait de sa propre famille politique, en raison des relations houleuses de Pompidou avec son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas – dressant ici un parallèle avec les frondeurs qui ont empoisonné son quinquennat.

L’extrême droite n’est enfin pas en reste, même si elle se montre plus discrète dans son hommage à celui qui avait théorisé le risque d’un renouveau du fascisme en France dans l’avenir. Marine Le Pen vantait ainsi en 2017 le modèle protectionniste et l’État stratège propre au modèle gaulliste prolongé par Georges Pompidou, après avoir reçu un soutien inattendu de Marie-France Garaud, la très droitière ancienne conseillère du deuxième président de la Ve. Le village natal de ce dernier, Montboudif, lui avait alors rendu la politesse, plaçant Marine Le Pen en tête de votes du premier tour à l’élection présidentielle, avec un score de 26,8 %, juste devant celui de François Fillon. Même Éric Zemmour sacrifie au plaisir de citer les petites phrases de Pompidou – « Il y a déjà eu l’Europe des régions, ça s’appelait le Moyen Âge », par exemple.

Symbole de cette célébration politique unanime : pas moins de trois présidents, certes plutôt à droite – Giscard, Sarkozy et Macron –, étaient présents lors du grand colloque organisé à la mémoire de Pompidou en 2019 pour le cinquantenaire de son élection, le chef de l’État lui-même ayant accepté de préfacer l’ouvrage qui en a été tiré. Sans surprise, Emmanuel Macron y célèbre un « réformateur infatigable », capable d’agir au-delà du clivage gauche-droite dans l’intérêt de la France.

Au-delà des traditionnels élans de nostalgie et des coups de com’, comment expliquer un tel engouement de la classe politique pour Georges Pompidou ? On peut y voir deux raisons principales. La première tient à l’homme lui-même, à son parcours et à son tempérament. Fils d’instituteurs et petit-fils de paysans modestes, né dans un territoire rural, élevé à Albi dans le Tarn – à quelques kilomètres de Carmaux, la ville dont Jean Jaurès était maire – avant de monter à Paris pour rejoindre l’École normale supérieure, Pompidou est une parfaite incarnation de la mythologie française de l’ascension sociale par l’instruction, chère à la IIIe République. Il séduit par son érudition, assise sur le bon sens, et par la pluralité de son personnage : provincial et parisien, roulant en Porsche et en DS, issu de la gauche et leader de la droite, banquier et intellectuel ; habile politique, mais aussi homme à la vie simple, proche des Français, vantant un humanisme concret ; le modernisateur, enfin, à qui l’on doit le Concorde, le TGV, le Smic et l’ANPE, mais qui restait profondément attaché à ses origines provinciales et à la culture française… Pompidou semble avoir été façonné pour le « en même temps ». On ne saurait s’étonner que l’actuel chef de l’État s’en réclame, ainsi que tous ceux qui souhaitent élargir leur électorat. À cela s’ajoute sa capacité à prolonger le gaullisme tout en imposant son style, quitte à se démarquer du fondateur de la Ve. On comprend donc que, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy hier, en passant par les jeunes loups de LR aujourd’hui, ils soient si nombreux à s’en revendiquer.

« Étoile d’un gaullisme sans postérité, figure d’une France révolue, il n’est pas étonnant qu’il envoûte par-delà la mort »

L’autre raison de la Pompidoumania tient à la nostalgie de la période que le président incarne plus que tout autre : les Trente Glorieuses. Elle permet de surfer sur la mémoire heureuse de cette période de croissance et d’insouciance, durant laquelle les mots de chômage et de crise étaient inconnus et celui de liberté (des mœurs), sacralisé.

Sauf que ces usages politiques de la figure de Pompidou, même bien intentionnés, peinent à appréhender son héritage politique. Solaire, Pompidou l’était assurément, mais il était aussi convaincu de la noirceur du pouvoir et de sa solitude extrême, et pessimiste quant à l’avenir du pays. Étoile d’un gaullisme sans postérité, figure d’une France révolue, il n’est pas étonnant qu’il envoûte par-delà la mort. Mais il n’est pas sûr que la convocation d’un héritage aussi ambigu que celui de la période des Trente Glorieuses permette d’appréhender les défis auxquels le pays est aujourd’hui confronté.  

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