Winston aux lèvres et malice à l’œil – qui pouvait noircir de fureur –, Pompidou séduisait. L’ancien président, disparu il y a un demi-siècle dans une grande souffrance physique, fut le héraut, après de Gaulle, de ces Trente Glorieuses dont bien des Français cultivent aujourd’hui la nostalgie. Même parmi les plus jeunes qui n’ont pas connu cette prospérité mâtinée d’insouciance, sur fond de croissance, d’industrie lourde et de triomphe automobile. Encore loin de l’empreinte carbone, du chômage et des crises énergétiques. Ce que Brice Teinturier appelle la « parenthèse enchantée » du pompidolisme s’incarne à travers cet homme sans doute plus complexe qu’il ne paraissait, conservateur éclairé et fervent d’avant-gardes, doté d’un flair politique auquel son parcours de lettré ne l’avait pas préparé.

Tous les signaux étaient au vert pour un avenir sinon radieux, du moins inspirant confiance aux Français.

S’il inventa avant l’heure, rappelle notre collaborateur Vincent Martigny, la « présidence normale », dans le sens où il succéda au fondateur de la Ve République, il marqua durablement les esprits au cours de son quinquennat forcé. Il restera à l’évidence, confirme l’économiste Élie Cohen, l’homme de l’industrialisation de la France, qui favorisa la création de grands groupes susceptibles d’équiper et de moderniser notre pays à marche forcée. Le Concorde (pas pour tout le monde…), mais aussi Airbus, le TGV et le RER, les télécoms, sans oublier la montée en puissance du militaire : tous les signaux étaient au vert pour un avenir sinon radieux, du moins inspirant confiance aux Français. Ces derniers, ajoute Brice Teinturier, avaient vraiment le sentiment que la France leur appartenait. Et qu’un président pouvait agir et infléchir par ses décisions le destin de tous et de chacun. Comme un « miroir inversé » de l’époque actuelle où domine le sentiment d’une impuissance et d’une incapacité des dirigeants à façonner le réel. Comme si nous étions désormais, collectivement, condamnés à subir.

Mais à y regarder de plus près, cette « pompidoumania » est un levier sans point d’appui. L’idée de souveraineté nationale, qui sous-tendait la politique de cette époque, n’est plus de mise depuis longtemps. Des élargissements européens (qui débutèrent sous Pompidou) aux avancées irrésistibles de la mondialisation, nos modèles d’organisation et de pensée ont connu de tels bouleversements qu’une nation seule n’a plus de marge de manœuvre. Et nos présidents ont bien peu de moyens, malgré leurs pouvoirs institutionnels, pour nous emmener vers un avenir enviable auquel croire. Aussi, de cette nostalgie pompidolienne qu’effeuille le calendrier, il est irréaliste de vouloir tirer une leçon ou une inspiration pour demain. Il nous reste le souvenir. C’est mieux que l’oubli. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !