Une recette qui a fait son temps
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On peut parler, pour la période 1958-1974, d’un âge d’or de la politique industrielle en France, qui chevauche de Gaulle et Pompidou. Trois ingrédients ont été savamment mêlés, et sont à la base de cette réussite exceptionnelle. Le premier est un ingrédient gaulliste de souveraineté. Après la Deuxième Guerre mondiale, de Gaulle se rend compte des faiblesses du modèle économique français. Il ne tolère pas, en particulier, notre dépendance en matière d’énergie et de télécommunications. Sont ainsi créés les premiers instruments d’une reconquête de la souveraineté avec des laboratoires de recherche publique sur les télécoms. L’idée d’une autonomie pétrolière et énergétique est aussi avancée. Mais le Général reste peu de temps au pouvoir. Son programme sera véritablement déployé à son retour aux affaires en 1958-1959. Dans la foulée de ces premières décisions de 1945 viendront alors la création du Cnes (dans le domaine spatial) ou celle du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). L’idée émerge que l’industrie est un attribut de la puissance d’un pays, au même titre que son armée ou que sa diplomatie. Pompidou la mettra en musique.
Pompidou impose l’idée que la prospérité d’un pays est liée à sa croissance.
Le deuxième ingrédient de la politique industrielle, qui revient davantage à Pompidou, est que la condition de la réussite passe par l’existence d’acteurs industriels puissants. Au sortir de la guerre, la France ne disposait pas d’entreprises armées pour mener de grands projets économiques et rayonner à l’étranger. L’idée est donc d’aider à la formation de grands groupes industriels. Dans un dialogue permanent avec les chefs d’entreprise de l’époque, il va favoriser la constitution de futurs grands champions français : Pechiney-Ugine-Kuhlmann, Saint-Gobain Pont-à-Mousson ou la Compagnie générale d’électricité (CGE). Non seulement il facilite les fusions par le biais de mesures fiscales, mais il contribue à la capitalisation de ces entités en leur passant des commandes à moyen terme pour leur donner une visibilité. Pompidou va ainsi permettre la transition d’un capitalisme sans capitaux, très fragmenté, à un capitalisme de grandes unités liées à l’État. Par une série de politiques efficaces et simultanées – tant fiscales et budgétaires que de commandes publiques, de formation et de recherche –, il appuie l’essor d’une culture et d’un écosystème industriels. Et impose l’idée que la prospérité d’un pays est liée à sa croissance.
Faut-il bâtir un modèle colbertiste européen, avec des objectifs de souveraineté ?
Le génie gaullo-pompidolien est de mettre en place un système qui, autour de la commande publique, permet la structuration d’acteurs et leur développement économique d’abord sur une base nationale, puis à l’étranger grâce à des investissements directs. Ce modèle a été décliné dans de nombreux domaines : de la défense au ferroviaire. Il y a toujours eu pour réussir un instrument de recherche et un grand programme de commandes publiques, à l’instar du plan télécom ou de celui pour le nucléaire. Et chaque fois un acteur français s’est servi de ce tremplin pour se développer. Cela donnera naissance à la CGE (futur Alcatel-Alstom), à Thomson, à Schneider… Autant de grands projets menés sur la durée, appuyés par le Plan, et qui ont fait l’objet de consensus politiques par-delà les alternances. Voilà comment la France a bénéficié d’un formidable rattrapage.
Ce grand programme n’est plus inspirant aujourd’hui car il était basé sur l’idée de la puissance nationale. Il a percuté l’autre grand programme qui se préparait sur le plan politique, la construction européenne, basée sur l’intégration, le démantèlement des monopoles nationaux, la concurrence libre et non faussée. On ne pourrait plus à présent décider d’être souverain en matière, par exemple, de machines à laver car la commande publique ne peut plus être réservée aux firmes nationales. Mais, avec la logique de puissance qui s’installe à l’échelle mondiale sur fond de grande bataille entre le Chine et les États-Unis, la vraie question serait plutôt : faut-il bâtir un modèle colbertiste européen, avec des objectifs de souveraineté ?
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