Chevilly-Larue
« J’arrivai chez lui le dimanche suivant, en début d’après-midi. Il habitait un pavillon à Chevilly-Larue, au milieu d’une zone en pleine phase de “destruction créatrice”, comme aurait dit Schumpeter : des terrains vagues boueux, à perte de vue, hérissés de grues et de palissades ; quelques carcasses d’immeubles, à des stades d’achèvement variés. Son pavillon de meulière, qui devait dater des années 1930, était le seul survivant de cette époque. »

La Possibilité d’une île, 2005

Beauvais
« – Écoute, il faut qu’on se voie pour en parler. Tu peux passer à la galerie maintenant ? 
– Non, là, je suis à Beauvais. 
– À Beauvais ? Mais qu’est-ce que tu fous à Beauvais ? 
– Je prends un peu de recul. C’est bien, de prendre du recul à Beauvais. »

La Carte et le Territoire, 2010

Rouen
« Un peu absurdement, j’ai décidé de rester à Rouen ce week-end. […] Je n’ai pas vraiment envie de visiter la ville. Pourtant il y a de très beaux vestiges moyenâgeux, des maisons anciennes d’un charme réel. Il y a cinq ou six siècles, Rouen a dû être une des plus belles villes de France ; mais maintenant tout est foutu. Tout est sale, crasseux, mal entretenu, gâché par la présence permanente des voitures, le bruit, la pollution. »

Extension du domaine de la lutte, 1994

Calais
« Calais est une ville impressionnante. D’habitude, dans une ville de province de cette taille, il y a un centre historique, des rues piétonnes animées le samedi après-midi, etc. À Calais, rien de semblable. La ville a été rasée à 95 % lors de la Seconde Guerre mondiale ; et dans les rues, le samedi après-midi, il n’y a personne. On longe des immeubles abandonnés, d’immenses parkings déserts (c’est certainement la ville de France où il est le plus facile de se garer). Le samedi soir est un peu plus gai, mais d’une gaieté particulière : presque tout le monde est saoul. Au milieu des troquets il y a un casino, avec des rangées de machines à sous où les Calaisiens viennent claquer leur RMI. Le lieu de promenade du dimanche après-midi est l’entrée du tunnel sous la Manche. Derrière les grilles, le plus souvent en famille, poussant parfois un landau, les gens regardent passer l’Eurostar. Ils font un signe de main au conducteur, qui klaxonne en réponse avant de s’engouffrer sous la mer. » 

Interventions, 1998

Le Raincy
« Il se sentait peu à peu coupable de vouloir passer son réveillon dans une zone aussi incongrue que la cité des Cigales, et comme chaque année il se mit à en vouloir à son père qui refusait obstinément de quitter cette maison bourgeoise, entourée d’un vaste parc, que les mouvements de population avaient progressivement reléguée au cœur d’une zone de plus en plus dangereuse, depuis peu à vrai dire entièrement contrôlée par les gangs. » 

La Carte et le Territoire, 2010

Coutances
« Le lendemain je me rendis à Coutances noyée dans la brume, c’est à peine si l’on apercevait les flèches de la cathédrale, qui paraissait ceci dit d’une grande élégance, la ville dans son ensemble était paisible, arborée et belle. […] Diverses affiches m’avaient informé de l’existence à Coutances d’un centre Leclerc, accompagné d’un Leclerc drive, d’une station-service Leclerc, d’un espace culturel Leclerc et d’une agence de voyages – Leclerc également. Il n’y avait pas d’espace funéraire Leclerc, mais ça semblait être le seul service manquant. » 

Sérotonine, 2019

Paris
« L’arrivée à Paris, toujours aussi sinistre. Les immeubles lépreux du pont Cardinet, derrière lesquels on imagine immanquablement des retraités agonisant aux côtés de leur chat Poucette qui dévore la moitié de leur pension avec ses croquettes Friskies. Ces espèces de structures métalliques qui se chevauchent jusqu’à l’indécence pour former un réseau de caténaires. Et la publicité qui revient, inévitable, répugnante et bariolée. “Un spectacle gai et changeant sur les murs.” Foutaise. Foutaise merdique. »

Extension du domaine de la lutte, 1994

Paris
« Le printemps à Paris est souvent une simple prolongation de l’hiver – pluvieux, froid, boueux et sale. L’été y est le plus souvent désagréable : la ville est bruyante et poussiéreuse, les fortes chaleurs ne tiennent jamais longtemps, se concluent au bout de deux ou trois jours par un orage, suivi d’un rafraîchissement brutal. Il n’y a qu’à l’automne où Paris soit vraiment une ville agréable, offrant des journées ensoleillées et brèves, où l’air sec et limpide laisse une tonique sensation de fraîcheur. »

La Carte et le Territoire, 2010

Souppes
« Il était à peu près midi lorsqu’il atteignit le village où vivait Houellebecq, mais il n’y avait personne dans les rues. Y avait-il jamais quelqu’un, d’ailleurs, dans les rues de ce village ? C’était une alternance de maisons en pierres calcaires, aux toits de tuiles anciennes, qui devaient être typiques de la région, et d’autres à colombages, blanchies à la chaux, qu’on se serait plutôt attendu à rencontrer dans la campagne normande. L’église, aux arcs-boutants recouverts de lierre, portait les traces d’une rénovation menée avec ardeur ; manifestement, ici, on ne plaisantait pas avec le patrimoine. »

La Carte et le Territoire, 2010

Roissy

« Et maintenant j’étais là, seul comme un connard, à quelques mètres du guichet Nouvelles Frontières. C’était un samedi matin pendant la période des fêtes, Roissy était bondé, comme d’habitude. Dès qu’ils ont quelques jours de liberté les habitants d’Europe occidentale se précipitent à l’autre bout du monde, ils traversent la moitié du monde en avion, ils se comportent littéralement comme des évadés de prison. Je ne les en blâme pas ; je me prépare à agir de la même manière. » 

Plateforme, 2001

Le relais de La Souterraine

« À quinze heures, ils s’arrêtèrent dans un relais un peu avant La Souterraine ; à la demande de son père, pendant que celui-ci faisait le plein, Jed acheta une carte routière “Michelin Départements” de la Creuse, Haute-Vienne. C’est là, en dépliant sa carte, à deux pas des sandwiches pain de mie sous cellophane, qu’il connut sa seconde grande révélation esthétique. Cette carte était sublime ; bouleversé, il se mit à trembler devant le présentoir. Jamais il n’avait contemplé d’objet aussi magnifique, aussi riche d’émotion et de sens que cette carte Michelin au 1/150 000 de la Creuse, Haute-Vienne. L’essence de la modernité, de l’appréhension scientifique et technique du monde, s’y trouvait mêlée avec l’essence de la vie animale. »

La Carte et le Territoire, 2010

La Vendée
« De toute façon, j’avais assez envie d’aller en Vendée. La Vendée me rappelait de nombreux souvenirs de vacances (plutôt mauvais du reste, mais c’est toujours ça). »

Extension du domaine de la lutte, 1994

L’A20
« Le lendemain, son père passa le prendre dans sa Mercedes. Vers onze heures ils s’engagèrent sur l’autoroute A20, une des plus belles autoroutes de France, une de celles qui traversent les paysages ruraux les plus harmonieux ; l’atmosphère était limpide et douce, avec un peu de brume à l’horizon. »

La Carte et le Territoire, 2010

Dijon

« Usuellement, en arrivant en gare de Dijon, j’atteignais un état de parfait désespoir. Rien, cependant, ne s’était encore
produit ; il semblait encore flotter dans l’atmosphère, dans les bâtiments, comme une espèce d’hésitation ontologique. Les mouvements encore mal assurés du monde pouvaient s’arrêter d’un seul coup. Je pouvais, moi aussi, m’arrêter ; je pouvais rebrousser chemin, je pouvais repartir. Ou bien je pouvais tomber malade ; d’ailleurs, je me sentais malade. Le lundi matin, en traversant les rues en général brumeuses de cette ville à d’autres égards agréables, je pouvais encore croire que la semaine n’aurait pas lieu. »

Renaissance, 1999

Martel
« “C’est un village ancien, n’est-ce pas ?” lui demandai-je. 

— Très ancien. Et son nom de Martel ne lui a pas été donné par hasard... Tout le monde sait que Charles Martel a battu les Arabes à Poitiers en 732, donnant un coup d’arrêt à l’expansion musulmane vers le nord. C’est en effet une bataille décisive, qui marque le vrai début de la chrétienté médiévale ; mais les choses n’ont pas été aussi nettes, les envahisseurs ne se sont pas repliés immédiatement, et Charles Martel a continué de guerroyer contre eux pendant quelques années en Aquitaine. En 743 il a remporté une nouvelle victoire près d’ici, et a décidé en remerciement d’édifier une église ; elle portait son blason, trois marteaux entrecroisés. Le village s’est construit autour de cette église, qui a ensuite été détruite, puis rebâtie au XIVe siècle. C’est vrai qu’il y a eu énormément de batailles entre la chrétienté et l’islam, se battre est depuis toujours une des activités humaines majeures, la guerre est de nature, comme disait Napoléon. Mais je crois qu’avec l’islam le moment est maintenant venu d’un accommodement, d’une alliance.” »

Soumission, 2015

Souillac
« Les hommes de Cro-Magnon chassaient le mammouth et le renne ; ceux d’aujourd’hui avaient le choix entre un Auchan et un Leclerc, tous deux situés à Souillac. »

Soumission, 2015

Rocamadour
« À Rocamadour, vous pourrez vraiment mesurer à quel point la chrétienté médiévale était une grande civilisation. »

Soumission, 2015

Le Massif central
« “On va commencer par le Massif central, trancha-t-il finalement. Pour toi, c’est parfait. Ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de mieux, mais je crois que c’est très français ; enfin, que ça ne ressemble à rien d’autre que la France.” »

La Carte et le Territoire, 2010

Saint-Cirgues-en-Montagne
« Dans la librairie du parvis j’ai acheté la carte Michelin numéro 80 (Rodez-Albi-Nîmes). Rentré dans mon bureau, je l’ai examinée avec soin. Vers dix-sept heures, une conclusion m’est apparue : je devais me rendre à Saint-Cirgues-en-Montagne. Le nom s’étalait, dans un isolement splendide, au milieu des forêts et des petits triangles figurant les sommets ; il n’y avait pas la moindre agglomération à trente kilomètres à la ronde. Je sentais que j’étais sur le point de faire une découverte essentielle ; qu’une révélation d’un ordre ultime m’attendait là-bas, entre le 31 décembre et le 1er janvier, à ce moment précis où l’année bascule. »

Extension du domaine de la lutte, 1994

Biarritz 
« Je pris le train pour Biarritz le jour même ; il y avait un changement à Hendaye, des jeunes filles en jupe courte et une atmosphère générale de vacances – qui me concernait évidemment assez peu, mais j’étais encore capable d’en prendre note, j’étais encore humain, il n’y avait pas d’illusions à se faire, je n’étais pas totalement blindé, la délivrance ne serait jamais complète, jamais avant ma mort effective. Sur place je m’installai à la villa Eugénie, une ancienne résidence de villégiature offerte par Napoléon III à l’impératrice, devenue un hôtel de luxe au XXe siècle. Le restaurant s’appelait, lui aussi, la Villa Eugénie, et il avait une étoile au Guide Michelin. Je pris des chipirons et du riz crémeux avec une sauce à l’encre ; c’était bon. J’avais l’impression que je pourrais prendre la même chose tous les jours, et plus généralement que je pourrais rester ici très longtemps, quelques mois, toute ma vie peut-être. »

La Possibilité d’une île, 2005

Le Cap d’Agde
« Je sais ce qu’il faut faire, dit-elle après un nouveau temps de silence. On va aller partouzer au Cap d’Agde, dans le secteur naturiste. Il y a des infirmières hollandaises, des fonctionnaires allemands, tous très corrects, bourgeois, genre pays nordiques ou Benelux. Pourquoi pas partouzer avec des policiers luxembourgeois ? »

Les Particules élémentaires, 1998

Meaux
« En arrivant à Meaux le dimanche soir, dans mon enfance, j’avais l’impression de pénétrer dans un immense enfer. Eh bien non, ce n’était qu’un tout petit enfer, dénué du moindre caractère distinctif. » 

Les Particules élémentaires, 1998

 

Extraits proposés par Agathe Novak-Lechevalier

Vous avez aimé ? Partagez-le !