Des cathédrales ? Très peu pour lui. Michel Houellebecq préfère les hôtels et les supermarchés, les aéroports et les centres commerciaux. Les romans houellebecquiens entretiennent avec l’espace une relation banale et désincarnée. Ils se construisent à partir de non-lieux divers, repères privilégiés de la médiocrité urbaine et de son quotidien linéaire. Imaginez un Leader Price encerclé par un parking vide, perdu au milieu d’une périphérie sans qualité : vous y êtes. Ses personnages traversent ainsi une panoplie d’espaces ordinaires, communs à l’ensemble de son œuvre ; quelques immuables qui en disent long sur son appréhension de l’architecture, cantonnée à un rôle fonctionnel, organisé, mécanique et libéral. Témoin d’une atomisation des conduites sociales, lieu de passage dépersonnalisé, l’hôtel fait même ouvertement figure de référence. À Daniel de déclarer dans La Possibilité d’une île : « J’ai toujours pour ma part vécu comme à l’hôtel. » Tout est dit. Le roman houellebecquien est voué à des lieux de passage et à un isolement spatialisé. 

Houellebecq est un poète et romancier de la banalité urbaine, qu’il utilise moins pour décrire une trajectoire sociale individuelle, contrariée ou réussie, qu’une massification des ambitions. Que faire face à la banalité ? Il faut partir loin, et vite. Fuir vers des aires reculées, parfois marginales, par le biais d’un efficace réseau de flux, physiques et matériels. Ils l’ont bien compris, Michel Houellebecq et l’architecte néerlandais Rem Koolhaas. Ils en discutaient ensemble il y a quelques années : les transports, qui continuent de façonner la construction des mégalopoles contemporaines, participent au développement d’un monde global et déshumanisé. Si l’auteur dresse la cartographie d’une France muséifiée, c’est au profit de paysages pittoresques sacrifiés au tourisme de masse. Dans les quelques lignes qu’il consacre à l’architecture dans ses Approches du désarroi, l’écrivain dresse un constat sans appel : « Plus généralement, toute l’architecture contemporaine doit être considérée comme un immense dispositif d’accélération et de rationalisation des déplacements humains ; son point idéal, à cet égard, serait le système d’échangeur d’autoroutes qu’on peut observer au voisinage de Fontainebleau-Melun Sud » (Rester vivant et autres textes, 1999).

Les personnages houellebecquiens s’enlisent dès lors dans des espaces de flux. Car les projets, bâtis hors des villes, révèlent un sentiment de décentralisation dont Houellebecq dessine les contours dans la description de l’aéroport de Shannon, en Irlande, centre du monde alternatif qui l’« enchante réellement », pour son « côté bien droit, bien rectangulaire ». Enfin un bâtiment qui semble échapper au constat d’une architecture désublimée : un aéroport. Pied de nez aux catégories esthétiques consensuelles, avant-garde ? Houellebecq semble quoi qu’il en soit avoir le goût des objets modernes et faussement monumentaux. En témoigne sa fidélité au XIIIe arrondissement de Paris. Lui qui n’a « pas envie d’être rue des Beaux-Arts » et regrette avec nostalgie le temps « où les bâtiments étaient carrés », lui voue un culte intense et proportionnellement égal à son rejet du cœur historique de la capitale. Il aime ce « quartier chaotique » ou « il y a un peu n’importe quoi ». Un paysage esthétique moderniste à contre-courant, des lieux qui ne sont chargés ni d’histoire ni de références, des lieux où l’on peut enfin se sentir libre. Peu importe, car de toute façon, comme l’écrit Houellebecq dans Lanzarote (2000), « le monde est de taille moyenne ». 

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