Nous avions quitté 2018 sous le coup de la colère jaune qui embrasait notre pays et forçait l’exécutif à lâcher quelque dix milliards d’euros pour tenter d’apaiser un corps social à vif. Nous voici en 2019 et pour commencer cet an neuf de plain-pied dans le réel, nous vous proposons un roman. Ou plutôt une plongée dans l’œuvre littéraire sans doute la plus en prise avec notre époque et ses convulsions. Celle de Michel Houellebecq – tout frais chevalier de la Légion d’honneur – qui publie Sérotonine, du nom de ce neurotransmetteur connu sous l’appellation un brin ironique d’« hormone du bonheur ». 

De bonheur, il n’en est guère question dans ce roman, si ce n’est de celui qui s’est enfui. Mais une fois encore, Houellebecq nous raconte la France, une certaine France, ou sous-France, en souffrance. En butte à une forme de désespérance qu’induit la solitude des êtres, leur mal de vivre, malmenés qu’ils sont par une société mondialisée où l’économie tient lieu d’étouffoir et de servitude sans autre issue que la dépression ou la disparition pure et simple. 

Comme dans nombre de ses précédents romans, d’Extension du domaine de la lutte à La Carte et le Territoire, Houellebecq pulvérise le libéralisme dans ce qu’il a de plus cynique. À la différence près qu’en s’attaquant cette fois aux marchés mondiaux de l’agriculture qui broient les producteurs normands de lait, il souligne aussi l’impuissance des États comme l’inanité des directives bruxelloises. Son modèle de démocratie directe, comme il vient de le confier au magazine américain Harper’s, c’est la Suisse ! Pour la première fois, comme le souligne avec justesse Agathe Novak-Lechevalier, auteure de Houellebecq, l’art de la consolation chez Stock, l’écrivain met en avant l’action collective – ici celle des éleveurs en colère – pour tenter, en vain, d’inverser le rapport de force. « Comme Balzac fut celui de la bourgeoisie conquérante et du capitalisme triomphant, écrivait Bernard Maris, assassiné il y a tout juste quatre ans avec ses amis dessinateurs de Charlie, Michel Houellebecq est le grand romancier de la main de fer du marché et du capitalisme à l’agonie. » Écoutons-le. Ses mots ne sont pas confortables. Mais ils sonnent juste et nous questionnent.

Merci de votre fidélité et de votre confiance dans ce journal qui, lui aussi, à sa manière, ne cesse d’interroger l’époque pour la rendre plus lisible.

Bonne année à toutes et à tous. 

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