Les voitures occupent une telle place dans nos vies et les activités qui les composent qu’il est toujours périlleux d’en proposer une vision prospective. Néanmoins, au vu de l’état de la recherche automobile et des directions qu’elle a prises, on peut essayer d’esquisser ce que sera le véhicule des années 2030. La littérature sur le sujet est d’ailleurs abondante. Projectivistes, universitaires, cabinets d’études, militants et toute une ribambelle de gourous des mobilités plus ou moins crédibles s’accordent d’ailleurs sur certaines orientations qui ne font plus débat. Les constructeurs eux-mêmes sont bien conscients du rôle capital que jouent les projections dans leur secteur. Il y a donc aujourd’hui des choses que nous savons et d’autres sur lesquelles il est permis de spéculer. 

Ce que l’on sait :

Le règne de la voiture servicielle est inéluctable.L’avenir est à la voiture partagée entre plusieurs propriétaires et au covoiturage. Depuis 2010, le nombre de véhicules circulant sur nos routes a franchi la barre du milliard. À ce rythme, il dépassera les 4 milliards en 2040. Un tel encombrement routier ferait ressembler chaque coin de campagne aux rues de Mexico ou de Mumbai aux heures de pointe. Ce futur n’est acceptable pour personne.

L’ère du tout-thermique est terminée. Même s’il faut rendre grâce aux constructeurs pour les progrès titanesques réalisés afin de réduire l’impact de nos moteurs diesels et essence sur l’environnement, les préoccupations environnementales et les aspirations des citoyens pousseront au développement de moyens de déplacement plus écologiques, en particulier en ville et plus encore dans les capitales les plus avancées.

L’avènement du conducteur digital est proche. Le constat est simple : chaque année, et malgré les progrès considérables accomplis, nous mourons sur les routes pour la simple et bonne raison que nous ne savons pas conduire. Il faut savoir regarder au-delà des récents et regrettables accidents impliquant des véhicules autonomes en phase de test. La promesse d’une mortalité routière quasiment réduite à zéro est à une brassée technologique. Depuis des décennies, c’est bien la machine qui réalise seule les atterrissages des avions de ligne. Les voitures sont les prochaines sur la liste, n’en doutons pas.

Le véhicule de demain sera la résultante d’une chaîne de valeur étendue, en ce sens qu’elle intégrera de plus en plus de composants provenant d’acteurs jusque-là étrangers à l’univers automobile. En quelques années, de nouveaux entrants tels que Mobileye (caméras et capteurs) et Nvidia (microprocesseurs pour véhicules connectés et autonomes) sont devenus des piliers importants de ce développement. Il y a fort à parier que la voiture, objet technologique par excellence, verra encore arriver nombre de nouveaux acteurs.

Ces constats dressés, plusieurs questions restent ouvertes.

La première porte sur la relation qui lie l’humain à la machine. Depuis toujours, cette relation se définit par un rapport charnel bien compris. Si on conçoit la voiture comme une prolongation physique du conducteur, on comprend en grande partie à la fois notre attachement particulier au véhicule et certains de nos comportements au volant. Que se passe-t-il lorsque l’on est amené à lâcher le volant comme le propose le mode pilotage automatique de Tesla, ou lorsque le volant devient superflu comme c’est le cas pour les Google cars ? Dans un monde de voitures autonomes, l’expérience de la conduite disparaît et chacun devient passager. Dès lors, l’ensemble de la vie au sein du véhicule est à réinventer. Le point névralgique se déplace du poste du pilote vers l’espace intérieur dans son ensemble. Qu’est-ce qui se prépare ? Un espace multifonctionnel, haut de gamme, hyperconnecté, future station de travail et lieu de loisir digital. Ou bien un espace « commoditisé », se satisfaisant de fonctionnalités plus simples, rendant simplement possible le déplacement d’un point A à un point B en toute sécurité ? La réponse la plus probable est que ces deux approches cohabiteront dans un univers où, pour se démarquer de leurs concurrents, les constructeurs automobiles devront jouer sur d’autres critères que l’expérience de conduite et les sensations afférentes. 

Une autre interrogation porte ainsi sur l’évolution des marques ou, plus précisément, de la signification de ce que l’on appelle l’identité de marque. Dans un univers où l’expérience de conduite n’existera plus, l’électrique aura fait disparaître une partie des éléments différenciateurs des marques. Ainsi, on a vu en une génération de véhicules les assistants personnels de type Alexa ou Siri remplacer les éléments mécaniques de conduite habituels (volant, pédales, etc.). Interagir avec son véhicule ne reviendra plus à le conduire mais à communiquer avec lui de manière digitale, voire vocale. Gageons que demain les constructeurs automobiles historiques, qui sont les plus qualifiés pour répondre aux besoins des conducteurs, travailleront main dans la main avec des entreprises du monde de la tech habituées à proposer des solutions à des utilisateurs.

Mais la plus grosse incertitude est d’ordre sociétal. Le véhicule de demain s’adressera, au moins dans les zones urbaines de nos sociétés occidentales, à de nouvelles générations – celles qu’on appelle Y et Z – dont les aspirations en matière de mobilité et d’habitude de consommation sont bien éloignées de celles de l’acheteur moyen de véhicule neuf, dont l’âge moyen est aujourd’hui en France de 56 ans. Les contraintes écologiques et réglementaires donnent en outre des objectifs chiffrés et balisés dans le temps en termes de consommation et d’émissions. La nouvelle norme WLTP entrée en vigueur le 1er septembre et qui durcit notamment les conditions des tests d’émission des véhicules en est le parfait exemple : elle oblige toute la chaîne de valeur automobile à évoluer à marche forcée. Enfin l’explosion du numérique, l’augmentation exponentielle des puissances de calcul et des débits de transmission (en particulier avec l’avènement annoncé de la 5G) rendent possible le développement de plateformes de services aux coûts de fonctionnement réduits, ce qui était encore inimaginable il y a quelques années. On peut aussi penser que nos sociétés poursuivront la mue technologique dans laquelle elles se sont engagées et spécialement les villes, qui ont adopté le modèle des smart cities. Et ce mouvement contribuera à élever le niveau des attentes à l’endroit des véhicules de demain.

Prévoir, c’est prendre des risques, et je prendrais donc volontiers celui de l’enthousiasme. Sans renier les externalités négatives liées à la voiture, notamment en matière d’environnement, il ne faut pas oublier que nos sociétés sont en partie construites sur quatre roues posées sur un châssis et entraînées par un moteur à combustion et je suis convaincu que la voiture continuera demain d’y occuper une place centrale. Qu’on en soit propriétaire ou qu’elle soit servicielle, elle sera là comme l’un des outils qui synthétisent notre société. La place est libre pour l’imagination, toutes les conjectures sont possibles. Mon vœu est que la voiture réinvestisse l’espace légitime du rêve, qui est le sien depuis toujours. L’histoire automobile a vu se succéder de réelles œuvres d’art et des prouesses technologiques ; elle prouve bien qu’en la matière le réel est bien plus vaste que le possible. La voiture n’a sans doute pas fini de nous surprendre. 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !