Combattre l’ex-Front national demande une certaine résistance au découragement. Depuis bientôt quarante ans, à quelques éclipses près, le parti lepéniste est l’une des plus puissantes et des plus prévisibles machines électorales en France. Au point que l’idée, contestable, d’une « irrésistible ascension » pourrait passer pour une forme d’arithmétique. À ses adversaires, faute de mieux, un recours reste ouvert : miser sur les contradictions internes de l’extrême droite. L’idée se nourrit d’un important précédent : la scission mégrétiste de 1999. Rarement, le FN fut aussi près de disparaître qu’avec la dissidence de son numéro 2. L’épisode, même si la mémoire s’en estompe, a pris la force du mythe. Attentifs aux détracteurs de Marine Le Pen à l’extrême droite – de Marion Maréchal à Robert Ménard, en passant par Florian Philippot –, ne guettons-nous pas le nouvel incident qui ferait dérailler la machine lepéniste ? 

Il y a, c’est vrai, quelques raisons de le faire. Des conditions qui ont nourri la scission, plusieurs sont à ce jour réalisées ou proches de l’être. Le parti ne détient pas aujourd’hui beaucoup plus de positions de pouvoir qu’alors. Sa présidente a montré, aux yeux de ses propres partisans, d’inquiétantes limites politiques et personnelles. Elle suscite bien des critiques dans et autour d’un parti géré, comme par son père, à la façon d’un patrimoine personnel. 

Cette analyse a pourtant quelques limites. La première est de confondre un courant d’idées avec la structure ou la personnalité qui l’incarne temporairement. La seconde, de surestimer l’audience, et parfois les qualités politiques, des opposants de Marine Le Pen. Les dernières européennes ont ainsi mesuré à 0,65 % le poids politique d’un Florian Philippot, ancien numéro 2 du parti. Celui-ci continue pourtant de bénéficier d’une visibilité médiatique hors de proportion avec ce modeste résultat. Ses détracteurs, en outre, ne représentent pas un front uni, mais une collection d’individualités, pour certaines peu compatibles sur le fond. 

Et si l’avenir est insondable, on discerne dans le passé quelques constantes : à ce jour, tous les adversaires des Le Pen sont tombés dans l’insignifiance, sitôt quitté le parti, faute de pouvoir leur opposer une offre à la fois différenciée, charismatique et électoralement compétitive. Il est vrai que certains critiques, à l’image du maire de Béziers, Robert Ménard, disposent d’une solide assise locale. Elle garantit leur liberté à l’égard de l’appareil du RN. Ni moins ni plus que cela : qui se souvient que le maire d’Orange (Vaucluse), Jacques Bompard, ancienne figure du FN, toujours réélu depuis 1995, dénonça férocement, et bien avant Ménard, les tares du lepénisme ? 

Le cas Marion Maréchal est-il d’une autre nature ? On a le droit de le supposer. À condition d’admettre aussitôt que rien n’est clair dans les intentions de la nièce de Marine Le Pen. Poser le scénario d’une guerre familiale est un pari, pas nécessairement le plus sûr. En dit-il plus long sur l’avenir du RN, ou sur les attentes des commentateurs ?

Une certitude, d’ici là : aucun parti n’offre à son chef plus de sécurité que le RN. Pour bien des raisons, et d’abord parce que l’essentiel des postes et des mandats, donc du pouvoir et des revenus, y dépendent des faveurs de la présidente. Le principal risque, pour un tel système, n’est pas l’existence de quelques mécontents : c’est celui de l’accident électoral, qui gripperait la redistribution interne des avantages matériels et symboliques. Qui veut la place de Marine Le Pen devra avant tout convaincre qu’il peut, sur ce plan, faire mieux qu’elle. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !