Y a-t-il une France d’extrême droite hors du Rassemblement national (RN), une galaxie qui conteste le leadership de Marine Le Pen ? Non seulement cette mouvance existe, mais elle n’est pas un phénomène historique récent. L’extrême droite française se caractérise depuis toujours par son émiettement en groupuscules. C’est d’ailleurs pour contrer cette situation que le premier Front national (FN) avait été créé en 1934 : il s’agissait de réaliser un « compromis nationaliste » unitaire entre toutes les tendances. Ce principe fut constamment cité par Jean-Marie Le Pen entre la fondation du FN en 1972 et la grande scission que connut le parti en 1999, quand la moitié de ses cadres et élus partirent avec Bruno Mégret. La pluralité est consubstantielle à l’extrême droite française, le régime de Vichy comptait pas moins de 88 formations différentes. Cette structuration provoque un fâcheux effet d’optique : il ne faudrait pas croire que, puisque chacun de ces groupes est petit, leur somme serait dérisoire. Rappelons que lorsque l’extrême droite hors RN s’est rassemblée le 26 janvier 2014 à Paris pour la manifestation « Jour de colère », exigeant la démission du président de la République, elle avait réussi à aligner 17 000 personnes sous ses multiples drapeaux. Et les informations sur les violences perpétrées par ses homologues étrangers ne sont pas rares. Il est impératif de bien connaître cette mouvance en perpétuelle évolution.

 

Le match du « grand remplacement »

Globalement, les petits partis existants sont nés de la transformation du FN en PME familiale à compter des années 1990. Pour assurer le passage de générations entre Le Pen à la présidence du parti, la famille, appuyée par Louis Aliot, a purgé ses rangs des moins dociles pendant plusieurs années. En 2009, divers cadres ont fondé le Parti de la France (PDF) afin de retrouver le FN des années 1980 : dans sa forme, avec le compromis nationaliste, et dans son fond, avec un positionnement économiquement libéral et fustigeant « la colonisation étrangère et l’islamisation ». Le projet du PDF est d’être un « FN canal habituel », espérant récupérer, un jour, les déçus du RN.

Les nationaux-catholiques ont eu un vrai poids dans le FN, jusqu’à ce qu’ils en soient aussi poussés dehors. Ils ont pris leur autonomie. Le premier représentant du courant est Civitas, institut transformé en parti en 2016. Son programme promeut le catholicisme religion d’État, l’interdiction de la franc-maçonnerie ou la suppression du caractère progressif de l’impôt sur le revenu. Les quelques candidatures locales ont récolté autour de 1 % des voix.

Ni Civitas ni le PDF n’ont pu se présenter aux dernières élections européennes, mais, conjointement à d’anciens candidats RN, plusieurs de leurs membres ont participé à la liste « Reconquête », initiée par la Dissidence française (DF). Fondée en 2011, DF était ostensiblement néofasciste, vantait une union géopolitique eurasienne et citait volontiers des théoriciens ésotéristes comptant parmi les plus radicaux de l’extrême droite. Au jeu des groupuscules, elle a récupéré les anciens de la branche francilienne du Mouvement populaire Nouvelle Aurore (inspiré du parti grec Aube dorée), alors que les membres marseillais de cette formation ont évolué vers des projets terroristes qui leur ont valu d’être arrêtés en 2017. Aux élections européennes, sa liste « Reconquête » a remporté le match de l’opposition au « grand remplacement » : 4  569 suffrages contre 1 578 à celle initiée par Renaud Camus et menée par le SIEL – petite formation souverainiste, fondée par Paul-Marie Coûteaux, anciennement associée au Front national pour le désenclaver du côté de la droite modérée…

DF a voulu aller plus loin en s’alliant avec Civitas afin de monter des listes dans les petites communes sans candidats déclarés aux municipales de 2020. Après l’échec de cette tactique, le groupe s’est transformé en Mouvement national-démocrate (MND), proclamant vouloir préserver les « racines chrétiennes de la France ». Alors que DF assumait un style nationaliste-révolutionnaire aimant jouer du « et de droite, et de gauche », le MND affirme être « la droite » et estime que Marine Le Pen n’est que « protestation rentière ». Malgré son intitulé en référence au parti néonazi allemand, le MND tient davantage du frontisme du début des années 1990, avec le désir de réexaminer les naturalisations effectuées depuis 1973, mâtiné du souverainisme absolu de Marine Le Pen. Le créneau du Frexit est en tout cas une impasse : aux européennes, Les Patriotes de Florian Philippot se sont effondrés à 0,65 %. L’ex-binôme de Marine Le Pen ne parvient à se maintenir médiatiquement à flot que grâce à ses passages sur CNews, dont il fut par exemple l’invité les 1er, 4, 11, 20, 23, 26 et 31 décembre 2020. Il tente de renouveler ses thèmes avec l’adoption du conspirationnisme sanitaire – un créneau très arpenté, entre autres par la énième revue populiste, Le Nouveau Conservateur, lancée en septembre 2020 par Paul-Marie Coûteaux et Jean-Frédéric Poisson avec Marion Maréchal, Éric Zemmour, Philippe de Villiers, l’ex-ministre Thierry Mariani, qui mènera la liste RN aux régionales en PACA, ou la députée Emmanuelle Ménard.

Aucun de ces partis déclarés n’a les moyens de troubler l’hégémonie du RN. L’électorat qui pourrait être idéologiquement séduit par ces offres alternatives est non seulement peu dense, mais il sait également fort bien que l’offre RN est plus productive. Si on regarde le résultat des européennes à Perpignan, seule grande ville gagnée par le RN en 2020 et dirigé depuis par Louis Aliot, les deux listes contre le « grand remplacement » y ont attiré respectivement zéro et sept suffrages. Réduire le vote pour l’extrême droite à un « vote de colère » a toujours été une fausse piste : l’électeur d’extrême droite sait voter utile pour ses idées. Conséquemment, ces formations n’ont que deux buts atteignables, tous deux fondés sur l’hypothèse d’un échec de Marine Le Pen en 2022. Le premier repose sur l’espoir que l’hémorragie militante s’accélérerait, le parti ayant déjà perdu la moitié de ses adhérents depuis 2015. Le second serait que, face à ses difficultés structurelles, le RN revienne au compromis nationaliste unitaire de ses origines.

 

Radicaux, antisémites et gilets jaunes

En dehors même des préoccupations électorales, les groupuscules sont profondément affaiblis et agités par de nombreuses dissolutions. Mouvement royaliste fondé en 1905 et diffusant la doctrine nationaliste de Charles Maurras, l’Action française (AF) a des hauts et des bas. Après la Manif pour tous, elle a connu une phase activiste, comme en témoignent l’arrestation d’une douzaine de ses membres lors de « Jour de colère », l’agitation bagarreuse de sa section marseillaise ou la condamnation en novembre dernier de cinq de ses membres pour des violences en 2019 au Mans. L’AF ne se limite pas aux coups de poing, suivant l’adage de Maurras : « Nous devons être intellectuels et violents. » En 2018, elle a lancé une nouvelle revue, Le Bien commun, qui a rejoint l’Association pour la presse française libre – initiée par le quotidien national-catholique Présent (entre cinq et dix mille exemplaires par jour) – et dans laquelle on retrouve également le mensuel L’Incorrect, proche de Marion Maréchal.

Égalité et Réconciliation (ER) avait été fondé en 2007 par Alain Soral lorsqu’il était encore au FN, avec le soutien administratif et financier des anciens du GUD, célèbre mouvement violent de jeunesse créé en 1968. Le but initial était de fournir au FN des militants issus de la diversité ethnoculturelle, afin de participer à la stratégie de « dédiabolisation ». Après son départ du FN en 2009, la ligne d’Alain Soral était de présenter négativement Marine Le Pen et positivement Florian Philippot – qui avait pu envoyer un signal en retour. ER s’exprime surtout à travers son site web, qui a atteint huit millions de vues mensuelles en 2016, mais en a perdu depuis la moitié. En revanche, la fermeture en 2020 de sa chaîne YouTube et de ses comptes Twitter n’a pas altéré son audience. ER recouvre un espace militant stable et réduit : dans sa thèse sur Alain Soral, Aurélien Montagner estime qu’il compte quelques milliers de cotisants pour  200 militants actifs. En 2019, seules trois conférences ont été organisées. La ligne idéologique demeure celle de la dénonciation du « sionisme » qui vise à la transnationalisation du monde – d’une manière très classique en ce milieu. Par exemple, les propos révisionnistes d’Éric Zemmour sur la façon dont Pétain aurait protégé les Français juifs sont décrits comme un coup tactique de la « communauté » pour rasseoir sa domination.

Néanmoins, ER ne vit plus en autarcie. Alain Soral a participé à un meeting unitaire « Gilets jaunes, ou la révolution qui vient ! » réunissant 500 personnes en janvier 2019. Les autres intervenants étaient notamment le rédacteur en chef du journal antisémite Rivarol (qui a divisé par dix ses 50 000 ventes hebdomadaires des années 1960) ; l’écrivain Hervé Ryssen et le chef du groupe Les Nationalistes, Yvan Benedetti. C’est ce dernier qui était à l’origine de l’événement, ayant participé aux premières semaines des Gilets jaunes, mouvement interprété, après l’élection d’Emmanuel Macron, comme un deuxième signe de décomposition du système politique augurant de l’ouverture d’une période prérévolutionnaire. Les Nationalistes assument une orientation fasciste, mâtinée de catholicisme et d’affirmation de fierté de la race blanche. Ils ont pris la suite de l’Œuvre française, interdite en 2013, mais avec seulement un tiers restant des  150 membres. L’Œuvre avait reçu l’accord de Jean-Marie Le Pen pour participer au FN, mais Marine Le Pen a fait exclure Yvan Benedetti après qu’il eut déclaré à la presse qu’il était « antisioniste, antisémite, antijuif ». Le leader des Nationalistes sait canaliser ses hommes, leur donnant une discipline politique, mais l’ensemble de la mouvance intéressée à la lutte contre « le lobby sioniste » est aujourd’hui difficilement intégrable à un combat unitaire. Ainsi, une gazette confidentielle condamnait-elle comme « sioniste » Hervé Ryssen… lors de son incarcération en 2020 pour propos antisémites, tout en reproduisant des extraits de Rivarol faisant de Marion Maréchal… une juive sioniste.

Le milieu radical a paru trouver un fer de lance avec la constitution du Bastion social par le GUD Lyon en 2017. Le Bastion a su fédérer les radicaux sur un axe nationaliste-révolutionnaire, avec pour stratégie l’action sociale et la création systématique d’un local (de type bar associatif), censé insérer le groupe dans son tissu urbain : la nuit de l’inauguration d’un tel lieu à Strasbourg, vingt nationalistes ont passé à tabac un jeune Algérien ! C’est sa participation à la journée du 1er décembre 2018, où fut mis à sac l’Arc de Triomphe, qui a justifié la dissolution du mouvement.

L’une des structures municipales en pointe est l’Alvarium, à Angers. Comme tous les groupes français depuis quelques années, il se réclame du modèle d’action sociale inventé par les néofascistes italiens de CasaPound. Un potager communautaire a été lancé au printemps dernier. Le squat destiné à l’« aide sociale aux Français » a été évacué par la police à l’automne, mais le fait vraiment nouveau est la proximité assumée par la bourgeoisie conservatrice. Valeurs actuelles (93 000 ventes hebdomadaires) a publié un véritable publireportage sur un groupe qu’il présentait comme de droite sociale. Academia Christiana, institut de formation pour jeunes catholiques, a organisé son université d’été avec eux au sein d’un établissement scolaire de la congrégation Sainte-Croix. Cet établissement a eu d’ailleurs comme élève une fille de Marine Le Pen. Engagé dans le soutien humanitaire à l’Arménie, le meneur de l’Alvarium est un ex-candidat FN, fils d’un ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen. 

 

Les identitaires, néo-cathos anti-islam

Le succès de la nébuleuse des Identitaires provient de son renoncement à l’arène électorale. C’est le paradoxe d’une mouvance qui a toujours avancé en se livrant à une analyse critique de ses échecs. Tout commence avec la dissolution d’Unité radicale, en 2002, qui permet à ses jeunes cadres de rénover leur credo : exit les références fascistes, l’antisionisme radical, l’activisme violent, les looks typés et la propagande underground. L’impact des attentats djihadistes liquidera ensuite le néopaganisme, hégémonique dans la radicalité des années 1980-1990, pour provoquer une adhésion à un catholicisme au moins culturel. Les Identitaires rompent avec les codes néofascistes pour assumer une pensée ethniciste comme rarement affirmée, mais en épousant un style mainstream. Le credo, « faire peur à l’adversaire, pas à nos grands-mères », n’est pas toujours facile à faire adopter aux militants, qu’on retrouve dans diverses rixes. Un des cadres toulousains, radié de l’armée après l’incendie d’une mosquée, a fini par aller combattre en Ukraine côté russe, avant de réapparaître dans le service d’ordre des Gilets jaunes. Les relations étaient d’autant plus mauvaises avec Marine Le Pen que les Identitaires ont tenté durant quelques années de se présenter aux élections avant de renoncer à cette stratégie. À partir de 2014, les rôles sont clairement répartis : ils appellent à voter FN, et ce dernier compte une cinquantaine d’Identitaires sur ses listes aux municipales. L’idée est de continuer à porter les thématiques ethniques et anti-islam que ne peut déployer le FN, en s’inspirant des méthodes de Greenpeace : des actions pacifiques et symboliquement fortes destinées à créer des sujets d’actualité, et à finalement faire avancer un agenda politique au long cours.

Génération identitaire (GI) devient le vaisseau amiral de ces actes avec pour contre-modèle la radicalité des décennies passées : on agit au grand jour, à visage découvert, avec des femmes dans le groupe, dans des opérations pensées en fonction de leur impact médiatique potentiel, en affirmant défendre ceux qui seraient opprimés par l’islam. Une nouvelle génération prend les rênes : Damien Rieu incarne GI sur Twitter avec 86 000 followers. Comme l’a montré la thèse de Marion Jacquet-Vaillant, les Identitaires sont « plus jeunes, plus masculins et plus populaires » que les militants des partis politiques, plutôt situés dans les pôles urbains, disposant d’un fort sentiment d’appartenance communautaire à l’organisation. Figure tutélaire des Identitaires, Philippe Vardon a longtemps représenté une difficulté pour le FN. Critique envers l’orientation marino-philippotiste, il estimait que « la ligne strictement souverainiste que certains défendent au FN semble parfois faire primer l’État sur le peuple et son identité ».

Considéré comme l’un des politiques les plus doués de l’extrême droite, Philippe Vardon provoquait une telle méfiance qu’en 2013 il n’eut que moins de 24 heures la carte du Rassemblement Bleu Marine, les dirigeants frontistes se retranchant derrière une « erreur informatique ».

Depuis la scission mégrétiste, la direction du FN craint l’organisation de réseaux internes, le noyautage est une des forces des Identitaires. Mais le manque de cadres a conduit le RN à entrouvrir ses portes. Philippe Vardon a intégré le Bureau national du RN, participé à l’organisation des dernières campagnes présidentielles et européennes. Il est l’un des trois identitaires sur les sept collaborateurs du député européen ex-mégrétiste Nicolas Bay. Damien Rieu, lui, a été un collaborateur de Marion Maréchal, puis l’assistant du député européen Philippe Olivier, le beau-frère de Marine Le Pen. Cette dernière a repris au corpus identitaire le « localisme », le seul thème fort et neuf du RN – au point qu’il a créé un nouveau satellite, le Parti localiste, mi-décembre 2020. Pendant ce temps, GI poursuit sa trajectoire propre et s’est internationalisé, avec une présence assurée dans une dizaine de pays. Son université d’été est à dimension européenne, et, même si la photographie de la promotion 2019 ne montre que  107 personnes, elle sert à forger cultures et pratiques communes. Les Identitaires oscillent ainsi entre école des cadres du RN et mouvement transnational d’agit-prop jouant le rôle d’avant-garde.

 

Ultras violents et nationalistes blancs

Le terme d’« ultradroite » n’a aucune valeur idéologique : il sert à désigner le secteur potentiellement violent de l’extrême droite. Un récent rapport d’un organisme de l’ONU établit une hausse de 320 % des violences d’extrême droite dans le monde lors des cinq dernières années. La France n’en est pas là. Les services de renseignement estimaient en 2019 que les radicaux représentaient 3 000 personnes dont 1  000 potentiellement dangereuses. Le style « skinhead néonazi » n’est plus à la mode : la dissolution par l’État à l’été 2019 de Blood and Honour Hexagone est consécutive à la découverte de la détention d’armes par la poignée de militants marseillais constituant le groupe. Le courant en vogue est celui du nationalisme blanc. Une de ses figures françaises, Daniel Conversano, d’abord collaborateur de Dieudonné avant d’assumer un racisme décomplexé, a poussé la logique au bout en émigrant à Bucarest et en invitant ses amis à rejoindre une Europe de l’Est racialement inaltérée. Hyperactif sur Internet, il est parvenu à faire naître de son web-activisme un vrai groupe, Les Braves, rassemblant un demi-millier de personnes avec un idéal communautariste blanc. Pour séduire au-delà, il a édité le dernier ouvrage de Guillaume Faye, prophète de la guerre raciale décédé en 2019, à l’audience internationale. Autre groupe récent né du web, Vengeance patriote a affirmé au journal Streetpress être « assimilationniste », ses références sont l’AtomWaffen Division américaine et le livre Siege de James Mason. Ce dernier est un vieux néonazi américain, adorateur de Hitler et du tueur Charles Manson, et la traduction de son opus nourrit l’« accélérationnisme » à la mode depuis le manifeste du terroriste de Christchurch (2019, 51 morts) : il faudrait hâter la guerre raciale pour assurer la victoire des Blancs. 

En 2020, après des arrestations pour meurtres, AtomWaffen s’est dissoute et reformée sous le nom d’Organisation nationale-socialiste. Elle a des liens avec l’organisation néonazie sataniste britannique l’Ordre des neuf angles, dont plusieurs membres ont été arrêtés en 2019 alors qu’ils préparaient des violences islamophobes. Le milieu nationaliste blanc est un phénomène transnational en voie de radicalisation violente constante, et celle-ci touche maintenant les rangs néo-populistes. Le groupe Action des Forces opérationnelles, démantelé avant qu’il ne passe à l’action terroriste, après les attentats de 2015, comptait dans ses rangs des gens aisés, des anciens des forces de l’ordre, des ex-militants de l’UMP ou du FN radicalisés en quelques mois. L’octogénaire ayant attaqué la mosquée de Bayonne pose la même question d’un populisme nourrissant un risque terroriste. Dans l’ouvrage La Poudrière, publié chez Grasset il y a quelques jours par trois journalistes, Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon, on apprend que les services évaluent à 300 le nombre d’« ultras jaunes ». Il s’agit de personnes, parfois sympathisantes du RN, qui se sont radicalisées au contact de… l’ultragauche à l’intérieur du mouvement des Gilets jaunes et se sont converties à la violence. Les militants d’extrême droite qui voulaient tuer le président Macron provenaient d’une page Facebook intitulée « Colère 88 ». Les pages nommées Colère suivi du numéro d’un département ont contribué à lancer le mouvement des Gilets jaunes. Les auteurs ont retrouvé un ex-militaire ayant incendié une mosquée à Libourne. Il a été arrêté alors qu’il voulait attaquer une autre mosquée à l’arme lourde pour, explique-t-il, engendrer un cycle de représailles et aboutir à la guerre ethnique. Les thèses accélérationnistes constituent un des problèmes d’ordre public de demain.

 

Marion maréchal pourra-t-elle unifier cette galaxie ?

Où vont les extrêmes droites ? Malgré l’émiettement, des thèmes émergent : la globalisation serait devenue une orientalisation du monde blanc par un « grand remplacement » sur le plan démographique. Il faudrait donc une « remigration », la réaffirmation d’une fierté ethnique et culturelle qui redonnerait sa place perdue au catholicisme. Ceux qui estiment que le jeu démocratique importe n’ont plus foi dans le RN. La perte de capital charismatique de Marine Le Pen n’est pas qu’un sentiment consécutif du débat d’entre-deux-tours contre Emmanuel Macron. Quand on utilise l’outil « trends » de Google qui permet de savoir ce que les internautes recherchent sur le moteur, on constate qu’avant 2017, Marine Le Pen incarnait son champ politique. En 2020, les recherches « Marine Le Pen » ont été plusieurs fois dépassées par celles sur le « RN », « Louis Aliot », et « Marion Maréchal ». Issus de la matrice frontiste, les deux derniers ont en commun d’avoir su s’adresser aux classes aisées qui boudent la présidente du RN : Marion Maréchal a su agrandir son assise… en réduisant son nom ; Louis Aliot a enfin conquis la mairie de sa ville… en enlevant de son matériel électoral le logo et le nom de son parti. Moins qu’une « union des droites », c’est de leur fusion qu’il s’agit, en considérant que les demandes d’ordre et d’unité ethnoculturelle sont les éléments qui peuvent fédérer les électorats des diverses droites. Le post-marinisme sera manifestement un lepénisme, condamné à dépasser le RN s’il veut réussir.

Les militants hors RN pourraient-ils se rallier à Marion Maréchal ? Elle représente tout ce que les radicaux ont dit rejeter pendant des décennies : elle est catholique, libérale, réactionnaire sur le droit à l’avortement. Sur ces points, c’est le milieu radical qui a évolué vers des positions conciliables avec le « maréchalisme ». En outre, dans un pays où les candidatures de droite catholique font des résultats insignifiants à la présidentielle (2,2 % pour Philippe de Villiers ; 1,19 % pour Christine Boutin) et où 40 % de la population se revendique athée et un tiers sans religion, tout retour de Marion Maréchal dans l’arène électorale passerait par une modération de sa revendication religieuse, rabattue sur un simple sentiment identitaire. Sur le plan ethnique, Marion Maréchal correspond à un compromis possible : elle rejette certes toute « approche racialiste du peuple français », mais, en même temps, regrette « la substitution sur certaines parties du territoire de ce qu’on appelle les Français de souche par une population nouvellement immigrée ». Son libéralisme économique n’est pas rédhibitoire, la question étant secondaire pour ces milieux et ce point de vue est majoritaire au RN : à tous les congrès, les militants ont toujours choisi la ligne économique à droite, l’objectif étant de parvenir enfin à fédérer les classes populaires, qui votent RN, aux secteurs bourgeois ou âgés, qui s’y refusent.

Alors que l’extrême droite cite depuis des décennies le principe du philosophe marxiste Antonio Gramsci sur « l’hégémonie culturelle » nécessaire à la prise du pouvoir, Marion Maréchal paraît avoir saisi un autre concept de Gramsci : pour prendre le pouvoir, il faut un « bloc social », une alliance temporaire entre groupes sociaux aux intérêts économiques immédiats divergents. L’une des premières notes publiées par le Centre d’analyse et de prospective, qu’elle a lancé à l’automne dernier, avait ainsi pour objet la défense de « la souveraineté monétaire » de la Banque centrale européenne, bien loin du souverainisme intégral du marinisme. Marion Maréchal sait peut-être aussi que les spécialistes de géographie politique récusent l’analyse d’une « France périphérique » qui serait le royaume du RN. Elle a ainsi qualifié de « caricatural » le concept de « démétropolisation » que sa tante a lancé avant les municipales et qui devrait être approfondi pour 2022.

 

La particularité de la période à venir est que les radicaux et nombre de populistes convergent désormais sur le rejet de la société multiethnique au profit d’un désir de souveraineté culturelle, et que ce ressentiment déborde largement l’extrême droite. Une personne totalement extérieure au RN pourrait-elle ramasser ce que les Le Pen ont semé ? Le créneau est étroit. Certes, Éric Zemmour profère des opinions sur la guerre raciale bien plus radicales que le RN, et dans les « trends », il surclasse désormais tous les Le Pen. Mais Marine Le Pen a été, elle-même, une reine médiatique entre 2002 et 2012 : débattre sur un plateau télévisé choisi n’est pas mener une campagne présidentielle. 

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