Le 22 mars 1429, Jeanne d’Arc écrivit au roi d’Angleterre pour lui ordonner de lever le siège d’Orléans et de quitter la France. Lettre sans retour. Louise Ekland lui répond six siècles plus tard, avec la collaboration d’Alexis Cadrot.

 

Chère Jeanne,

First, désolée pour le retard. Les Anglais passent pour des gens ponctuels ; six cents piges pour répondre à une lettre – fût-elle de menaces de mort – c’est too much.

En défense de mes compatriotes, ils avaient toutes les raisons de ne pas te prendre au sérieux. Une ado attardée qui lance un ultimatum aux dirigeants d’une nation, ça n’a rien d’extraordinaire… même avec ton profil « radicalisée-j’entends-des-voix », pas de quoi te ficher S (S comme sorcière).

Surtout, tu aurais été plus crédible en nous promettant des représailles vraiment terrifiantes. Dans ta lettre, tu parles de nous « frapper », de nous « occire » si nous ne voulons obéir. Mais jamais tu n’évoques une déferlante de plombiers polonais. Voilà pourtant qui nous aurait bien mis les chocottes.

J’en veux pour preuve le Brexit : par peur de l’immigration, les Anglais ont réussi à s’autobouter hors du continent européen ! Tu vois Jeanne, un brin de guérilla psychologique, et le duc de Bedford rembarquait de son plein gré… Tu fais comme tu veux, mais pourquoi se fatiguer à lever une armée quand il suffit d’acheter des likes sur Facebook ?

C’est plus efficace : le jour du scrutin, les Anglais se sont rués aux urnes sans réfléchir, telle la chevalerie française à Azincourt. Obsédé par l’idée de faire cavalier seul, mon pays natal s’est empalé sur ses propres bulletins de vote. Bien fait.

Depuis, c’est défaite sur défaite : par exemple, la dévaluation de la livre sterling menace la pension des retraités british qui pullulent en Dordogne. Je lis que tu veux récupérer « les clés de toutes les bonnes villes que les Anglais nous ont prises et violées » ? Voilà déjà celles de Périgueux, le foie gras y est devenu hors de prix.

Le reste suivra bientôt. Car les Britanniques sont comme les moutons de Domremy : prêts à tout pour éviter de se faire tondre.

Voilà pourquoi personne n’a répondu à ton courrier : nous craignons moins la colère divine que la baisse de notre pouvoir d’achat… Si ces calculs financiers t’échappent, c’est normal. Comme toutes les ados rebelles et idéalistes, tu as séché l’université (qui était d’ailleurs du côté des Anglais), et tu n’es pas calée en macron-économie. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Fallait bûcher ;-)

Mais je sens que je ne fais que renforcer ta détermination à nous faire « grand hahay », grand vacarme… Pourtant, les Anglais gagnent à être connus : s’ils envahissent la France, c’est d’abord parce qu’ils l’aiment. Dix-sept ans que j’habite ici, et le récit de tes aventures me fait encore saliver. Du château de Chinon à la cathédrale de Reims, tout m’évoque la vigne et la bonne chère. D’ailleurs, j’adore l’armagnac et le bourguignon me fait un effet bœuf. Impossible de choisir mon camp !

La France a réglé ses querelles intestines ; j’espère que l’Angleterre renoncera à ses tentations isolationnistes. Un jour nous n’aurons plus besoin d’agiter la peur de l’étranger pour unifier nos pays respectifs. Qu’en penses-tu, chère Jeanne ? À moins que tu ne persistes dans le chacun chez soi et Dieu pour tous ?

Prends ton temps pour répondre : aujourd’hui, trop de gens veulent te faire parler, moi je préfère t’écrire. 

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