L’après-midi du 13 septembre 1993 fut véritablement un moment miraculeux et merveilleux. Assise au premier rang des fauteuils qui avaient été disposés sur la pelouse de la Maison-Blanche, je regardais le président Clinton tendre les bras pour pousser doucement l’un vers l’autre le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, le président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Après un moment d’hésitation de la part de Rabin, les deux hommes se sont serré la main, et l’image de cet instant a fait la une de pratiquement tous les journaux de la planète. (…)

Les accords d’Oslo, signés à l’occasion de cette mémorable cérémonie organisée sur la pelouse de la Maison-Blanche, visaient à faire qu’Israéliens et Palestiniens cessent d’être des ennemis acharnés pour devenir des partenaires. Ils définissaient une série de mesures réciproques destinées à rétablir la confiance entre les deux parties en vue de négociations sur les questions primordiales que soulevait le « statut final ». L’OLP devait réaffirmer sa volonté de renoncer au terrorisme et reconnaître le droit à l’existence d’Israël. De son côté, Israël acceptait qu’une partie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza passe sous contrôle palestinien. Le président Arafat est revenu de son exil à Tunis, et a installé le quartier général de l’Autorité palestinienne dans la ville cisjordanienne de Ramallah. Avec l’aide de la communauté internationale, les Palestiniens ont commencé à instaurer des institutions autonomes. Les tensions régionales se sont atténuées. En 1994, la Jordanie a été le deuxième pays arabe à signer la paix avec Israël. Israël a établi de nouvelles relations avec des dizaines d’autres pays, ouvrant même des bureaux de liaison dans plusieurs pays arabes. Les investissements étrangers ont afflué et l’économie israélienne a connu une forte progression.

Ils étaient appelés à vivre ensemble, comme des voisins partageant la même terre

Rien de tout cela ne se serait produit sans Yitzhak Rabin. (...) Les Israéliens, qui mettaient en doute la vigilance des autres dirigeants du Parti travailliste, avaient confiance dans la force et la ténacité de Rabin. Contrairement à certains de ses successeurs, Rabin pensait qu’il ne fallait pas tolérer que des actes de violence anti-israélienne viennent compromettre les négociations, pour ne pas permettre aux terroristes de contrecarrer le processus de paix. Il disait souvent que le bon sens voulait que l’on combatte le terrorisme comme s’il n’y avait pas de négociations, et que l’on négocie comme s’il n’y avait pas de terrorisme. Il se méfiait des Palestiniens, et en particulier de Yasser Arafat, mais il était persuadé qu’une paix bien conçue était le seul choix pragmatique pour les deux camps, puisqu’ils étaient appelés à vivre ensemble, comme des voisins partageant la même terre. (…)

Les accords d’Oslo imposaient à Arafat, leader d’un mouvement nationaliste utilisant le terrorisme, de devenir le leader d’un mouvement autonomiste qui devait combattre le terrorisme. Il fallait aussi qu’il administre effectivement la Cisjordanie et Gaza au lieu de se contenter de voyager de par le monde et d’être reçu partout en grande pompe. (…)Très vite, il a paru évident qu’Arafat n’était pas très doué pour ce genre de travail. Son style autocratique ne permettait guère à la démocratie de se développer. N’ayant pas réussi à accomplir des réformes économiques, il s’est aliéné des donateurs potentiels ; quant à sa tentative de coopter plutôt que d’éliminer les éléments terroristes du Hamas, elle n’a fait qu’accroître l’intransigeance d’Israël. (…)

À l’occasion de ma première visite, j’ai rencontré Arafat dans son QG de Ramallah, un immeuble blanc, austère et modestement meublé, que l’armée israélienne devait détruire cinq ans plus tard. Assis devant une grande photo du dôme du Rocher, il semblait relativement résigné. Il s’est plaint du blocage des ressources fiscales et du bouclage de la Cisjordanie et de la bande de Gaza décidés par Israël. Il reprochait à Netanyahou de ne pas tenir les engagements figurant dans les accords d’Oslo, mais cette fois-ci il n’a pas chicané quand je l’ai pressé sans ménagement de contribuer à la sécurité de la région. Je lui ai dit que nous voulions des actes, pas des promesses, et que le terrorisme était aussi destructeur pour la cause palestinienne que pour Israël. Il a répondu en acceptant de mettre au point un plan destiné à démanteler l’infrastructure terroriste du Hamas – plan dont nous n’avons jamais cessé de discuter les détails.

Arafat préférait que les extrémistes tournent leur colère contre Israël plutôt que contre lui

À l’époque, le Hamas comptait des dizaines de milliers de membres dont beaucoup se consacraient à des activités strictement pacifiques – écoles, mosquées, camps de vacances et services sociaux ; mais au sein du Hamas se propageaient des métastases cancéreuses qui fabriquaient des explosifs, préparaient des embuscades et des enlèvements, et persuadaient des jeunes de commettre des attentats-suicides. Il existait de telles cellules terroristes dans la plupart des agglomérations palestiniennes.

En général, l’Autorité palestinienne acceptait d’agir contre le Hamas quand on lui fournissait des informations spécifiques concernant telle ou telle installation, ou un projet d’action terroriste ; mais elle était plus réticente quand on lui remettait seulement des listes de personnes à arrêter. Elle rechignait surtout à agir de sa propre initiative. Arafat préférait que les extrémistes tournent leur colère contre Israël plutôt que contre lui. C’était la raison pour laquelle ses promesses n’étaient guère crédibles. Cette question relative à une réponse effective au terrorisme était, et est demeurée, le problème central de la poursuite du processus de paix. 

Extraits de Madame le secrétaire d’État… Mémoires © Albin Michel, 2003, pour la traduction française de M.-F. Girod, A. et J. Deschamps et R. Morin

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