Les États arabes historiquement en pointe sur la question palestinienne sont l’Égypte et la Jordanie, qui ont signé des traités de paix avec Israël en 1979 et en 1994. Mais l’Arabie saoudite possède également une légitimité, en tant que terre abritant les deux hauts lieux saints de l’islam, mais aussi en tant que premier donateur de la cause palestinienne.

En septembre 2020, Bahreïn et les Émirats arabes unis (EAU) ont conclu avec Israël, sous les auspices de l’administration Trump, les accords d’Abraham, du nom de cette figure commune aux trois religions monothéistes. La normalisation avec le Maroc a suivi fin 2020. Mais ces accords ne sont pas liés à la question palestinienne ; les pays signataires ont procédé à des transactions. Bahreïn et les EAU partagent avec Tel-Aviv la nécessité de contenir la menace iranienne. En ce qui concerne le Maroc, la normalisation est directement liée à la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental – cette région que se disputent Rabat et le front Polisario.

Désormais, Riyad exige l’arrêt total de la colonisation et un retour à l’esprit du plan de paix arabe de 2002

Jusque très récemment, la normalisation avec l’Arabie saoudite, autrement plus symbolique, semblait sur le point de se réaliser à son tour – c’est du moins ce que laissaient entendre Washington et Tel-Aviv. Contrairement à son père, le prince héritier Mohammed Ben Salman, chef du gouvernement du pays, ne fait pas de la cause palestinienne un point de fixation, sans doute pour des raisons générationnelles. Son ambition est surtout de faire du royaume une plateforme touristique, technologique et économique, ce qui est très compatible avec un rapprochement avec Israël.

Mais les événements qui s’enchaînent depuis le 7 octobre ont poussé l’Arabie saoudite à redonner à la question palestinienne sa centralité. Le royaume a imputé l’entière responsabilité de l’escalade de la violence au refus israélien de stopper la colonisation et aux provocations sur l’esplanade des Mosquées. Il a ensuite suspendu les négociations de normalisation. Désormais, Riyad exige non seulement l’arrêt total de la colonisation, mais aussi un retour à l’esprit du plan de paix arabe, adopté en 2002 et soutenu par le roi Salman.

En résumé, la question palestinienne redevient un enjeu de politique intérieure pour le prince héritier. Au risque d’être provocatrice, je pense que ce qui s’est déroulé depuis le 7 octobre l’a sauvé politiquement. Il a réalisé qu’il ne pouvait s’offrir une normalisation avec Israël sans exiger une solution politique juste et durable pour le peuple palestinien.

Le durcissement de la position de Mohammed Ben Salman est également lié à son refus de voir l’Iran endosser le rôle de porte-étendard de la cause palestinienne. Il s’est même entretenu avec le président iranien afin d’éviter un embrasement de la région. Les autres acteurs arabes multiplient les efforts dans le même sens.

 

Une impasse essentielle subsiste : avec qui discuter côté palestinien ? Mahmoud Abbas, le dirigeant de l’Autorité palestinienne, est discrédité et accusé d’être un traître par de nombreux Palestiniens. Mais la communauté internationale ne reconnaît que ce représentant comme interlocuteur pour négocier. On assiste donc davantage à une diplomatie arabe multidimensionnelle et collégiale. D’un côté, l’Égypte, la Jordanie, les EAU et l’Arabie saoudite peuvent faire passer des messages aux États-Unis afin de faire pression sur le gouvernement israélien. De l’autre, le Qatar, qui abrite le représentant de la branche politique du mouvement et paie le salaire des fonctionnaires du Hamas avec l’accord d’Israël, est en mesure d’assurer une médiation avec le mouvement. Il est d’ailleurs le seul à pouvoir le faire, puisque l’Arabie saoudite est hostile au Hamas, associé aux Frères musulmans, et l’a inscrit sur la liste des organisations terroristes en 2014.

Au détour de ce nouveau conflit, le fossé entre les pays du Moyen-Orient et les Occidentaux s’élargit. Le soutien indéfectible des États-Unis et de nombreux pays européens au gouvernement Netanyahou a sidéré les acteurs régionaux. L’Occident étant discrédité, ils vont sans doute se tourner vers les grands pays du Sud global, comme la Chine, la Russie ou le Brésil. 

 

Propos recueillis par HÉLÈNE SEINGIER

 

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