« Le peuple juif ? Trop d’histoire, pas assez de géographie », disait avec humour le philosophe d’origine russe Isaiah Berlin. La boutade pourrait être déclinée aux Palestiniens, soulignant la singulière parenté entre ces deux peuples qui se disputent un tout petit territoire (27 000 kilomètres carrés, une fois et demie un département français). Concentré de passions, de mémoires traumatiques et d’hubris, la terre des trois monothéismes est un désert où ne pousse que la rancœur entre deux frères ennemis, épuisés par une guerre de cent ans qui ne leur a pas permis de construire côte à côte deux États vivant en bonne intelligence.

Jusqu’où ira l’explosion en cours ? Près de vingt jours après l’attaque terroriste du Hamas, dont on compte encore les cadavres, nul ne sait où s’arrêtera l’engrenage de la violence. Les bombardements de la bande de Gaza, qui ont déjà fait plusieurs milliers de victimes, ne suffiront pas à éliminer le Hamas, but de guerre avoué d’Israël. Mais l’offensive terrestre porte en elle son lot d’incertitudes et de périls, alors que des escarmouches ont déjà lieu en Cisjordanie et à la frontière libanaise. Et si le cortège des diplomates occidentaux, le président américain Joe Biden en tête, a sans doute permis de retarder les opérations sur le terrain et de faire avancer l’aide humanitaire, il n’a pas pour autant éteint les inquiétudes sur la suite d’un conflit à dimension globale.

En 1901, Rudyard Kipling avait popularisé l’expression de « Grand Jeu » pour qualifier les luttes d’influence entre la Russie et l’Empire britannique en Asie. Aujourd’hui, la partie continue au Proche-Orient, opposant entre elles des puissances mondiales (États-Unis, Chine, Russie) ou régionales (Iran, Arabie saoudite, Égypte). Mais les règles du jeu ont changé, comme l’explique le politiste Bertrand Badie dans un entretien éclairant : à l’ère de la guerre des images, vraies ou fausses, et de la propagande décentralisée, la conduite de la guerre n’est plus l’apanage des seules chancelleries. Les opinions publiques ont pris le relais et pèsent sur leurs dirigeants, prêtes à se mobiliser au moindre drame, comme l’a montré l’épisode de l’hôpital Al-Ahli de Gaza. C’est ce qui rend aujourd’hui la situation si instable, voire imprévisible. Aucun des acteurs en scène n’a intérêt à un embrasement de la région, hormis peut-être le Hamas. Mais alors que le sort des otages reste encore en suspens, à l’heure où nous écrivons ces lignes, il faut craindre la moindre étincelle. L’exemple ukrainien nous a rappelé douloureusement que le temps des grandes guerres n’était pas révolu. 

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