Où se situe la ville de Marioupol ?

Marioupol est située sur la rive nord de la mer d’Azov, à l’embouchure du fleuve Kalmious, à 105 kilomètres au sud de Donetsk et à 635 kilomètres au sud-est de la capitale Kiev, soit une quinzaine d’heures de train. C’est le deuxième port d’Ukraine après Odessa, et la deuxième ville du Donbass après Donetsk. Elle comptait environ 450 000 habitants avant l’invasion par la Russie. Son climat est continental : il ne fait ni très froid l’hiver ni trop chaud l’été. Quant à son urbanisme, même si la vieille ville conserve quelques bâtiments de la fin du XIXe siècle, il est largement dominé par des immeubles bas datant de la période soviétique. La ville est perchée sur les hauteurs, en surplomb du bord de mer où se trouvent la gare et le port industriel. Au nord-est et à l’est, sur la rive gauche du fleuve, sont installés deux grands combinats métallurgiques : Ilitch et Azovstal.

Marioupol est une ville relativement récente. Quelle est l’histoire de sa fondation ?

Les origines de Marioupol sont très anciennes avec des traces archéologiques d’occupation humaine qui remontent au néolithique. Une localité réapparaît aux alentours des Ve-VIIIE siècles de notre ère puis au temps de la Rous’ de Kiev, mais elle est anéantie par la Horde d’or au XIIIe siècle.

Au XVIe siècle, une forteresse cosaque appelée Domakha est créée pour protéger les terres des invasions des Tatars de Crimée. La ville prend lentement son essor après la guerre russo-turque de 1768-1774 qui marque le début de la conquête russe du territoire. Elle s’appelle tout d’abord Pavlovsk avant de devenir Marioupol, la « ville de Marie » en grec – ce sont en effet des Grecs orthodoxes de Crimée que Catherine II envoie peupler la région. L’économie est alors tournée vers l’agriculture, l’élevage bovin, la pêche et l’artisanat du cuir.

Durant le XIXe siècle, la ville est transformée par la révolution industrielle…

En effet, le développement démographique et industriel de Marioupol commence réellement à partir de la fin du XIXe siècle : un chemin de fer qui la relie au bassin minier du Don est inauguré en 1882 et un port commercial en eau profonde est construit entre 1886 et 1889 pour exporter du charbon et des céréales. Elle sert d’interface entre les régions industrielles du Donbass et la steppe. Les investisseurs étrangers soutiennent massivement l’industrialisation de la région : des entrepreneurs américains fondent à Marioupol la société Nikopol en 1897, renommée Ilitch en 1924 d’après Lénine, et de nombreux pays européens y installent des représentations consulaires. Entre 1892 et 1897, la population double, atteignant plus de 30 000 habitants. Le développement industriel culminera en 1933, avec l’inauguration du célèbre complexe sidérurgique Azovstal.

Quel est le visage de Marioupol au tournant du siècle ?

Avec l’industrialisation et le besoin de main-d’œuvre, la ville de Marioupol change de visage : les populations russe, ukrainienne et juive ne cessent d’augmenter. Les Russes et les Ukrainiens travaillent souvent comme ouvriers dans les usines, mais sont également intégrés à l’élite administrative et militaire. Les Juifs s’adonnent à l’entrepreneuriat et au commerce, mais ouvrent aussi des usines, des hôtels, des restaurants, des pharmacies, des imprimeries. Les Grecs se consacrent au commerce et à l’artisanat, mais certains sont avocats, enseignants ou fonctionnaires. La vie culturelle se développe avec la création d’un journal local, d’une bibliothèque, d’une salle de concerts et de théâtre, de trois salles de cinéma. À rebours de cette pluralité, l’administration russe mène dès les années 1860 une politique de russification et fait du russe la langue obligatoire de l’enseignement.

Quel rôle joue Marioupol durant l’entre-deux-guerres ?

Dévastée par la guerre civile de 1917-1920 et la famine de 1921-1922, Marioupol est reconstruite à neuf, tout comme ses unités de production. Elle devient le troisième centre de l’industrie lourde en Ukraine soviétique, après les régions de Dniepropetrovsk et de Donetsk. De là vient le mythe d’un Donbass russe : en 1921, un poster intitulé « Donbass, le cœur de la Russie » représente même la région comme un grand cœur rouge, qui irrigue des centaines de villes russes, de la mer Baltique à la mer Noire, et de la mer Caspienne à l’Oural.

Dans les années 1930, Marioupol servira également de refuge aux paysans menacés par la dékoulakisation et la famine organisée

Malgré cette image persistante du Donbass russe, ces années d’entre-deux-guerres voient également émerger dans le Donbass un mouvement de renouveau national, qui promeut l’ukrainien et le grec comme langues d’enseignement. Dans les années 1930, Marioupol servira également de refuge aux paysans menacés par la dékoulakisation et la famine organisée par Staline de 1932-1933, l’Holodomor, qui frappe les villages alentour, peuplés principalement d’Ukrainiens, de Grecs et d’Allemands. Les élites politiques et intellectuelles de la ville sont victimes des purges staliniennes, et l’ensemble des établissements religieux est détruit. La ville sera ensuite occupée et partiellement détruite par les nazis entre 1941 et 1943. Elle perdra plus du tiers de sa population, et la quasi-totalité de sa population juive, soit plus de 10 000 personnes.

Marioupol et le Donbass demeurent-ils au cœur de la Russie soviétique ?

En 1948, la ville est rebaptisée Jdanov, d’après Andreï Jdanov, natif de Marioupol et chargé par Staline de la propagande d’après-guerre. La production industrielle prend un nouvel essor et se diversifie, avec la création à Azovstal de nouveaux ateliers dont celui de rails ferroviaires, connu dans toute l’Europe. Dans le contexte de la guerre froide, on construit des abris anti-bombes dans l’usine, afin d’assurer la continuité de la production en cas d’attaque. C’est dans ces abris que se sont réfugiés les soldats ukrainiens pendant le siège de la ville par l’armée russe.

Marioupol voit émerger toute une culture militante et associative

Dans les années 1980, avec la perestroïka engagée par Gorbatchev, Marioupol voit émerger toute une culture militante et associative, en marge des institutions officielles. On y trouve notamment des organisations de défense de l’environnement, qui alertent sur la pollution liée aux usines. On observe également un début de renouveau culturel : tourné à Marioupol et dépeignant les errements existentiels de la jeunesse locale, le film La Petite Véra (1988) de Vassili Pitchoul est un véritable succès au box-office soviétique !

Que devient cette région industrielle à la chute de l’URSS ?

En 1989, les statues de Jdanov sont déboulonnées et la ville reprend son nom d’origine. La fin de l’URSS et l’indépendance de l’Ukraine, obtenue en 1991, provoquent un bouleversement politique, économique, social et national sur l’ensemble du territoire.

Dans le Donbass, le passage à l’économie de marché entraîne la privatisation de certaines grandes usines et la fermeture d’autres : le chômage s’installe dans la région. Les jeunes partent pour Kiev. Plus tard, les travailleurs iront chercher du travail à l’ouest, notamment en Pologne. Autrefois fleuron de l’industrie nationale soviétique, l’usine Azovstal va être entièrement rachetée par la société de Rinat Akhmetov, l’un des oligarques les plus fortunés d’Ukraine. Mais malgré les privatisations et le sentiment de déclassement d’une bonne partie de la population, le Donbass reste le poumon industriel de l’Ukraine, et Marioupol son principal port commercial.

Dans cette Ukraine désormais indépendante, le Donbass demeure en majorité russophone, en raison de la politique de russification, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres villes ukrainiennes, mais aussi à cause de l’importante migration de travailleurs. L’économie locale est en effet principalement tournée vers la Russie, tout comme les migrations pendulaires, du moins jusqu’en 2014. Rappelons toutefois que beaucoup d’Ukrainiens sont bilingues, et que la russophonie n’implique pas nécessairement un sentiment national russe ! Loin du stéréotype d’un Donbass uniformément ouvrier et prorusse, l’est de l’Ukraine est en réalité très hétérogène, avec une culture et une identité régionale fortes et complexes.

Quel impact les événements politiques de 2013-2014 ont-ils sur la région ?

Dans la foulée de la révolution de Maïdan en 2013-2014 et de l’annexion de la Crimée par la Russie, le séparatisme prorusse se développe dans le Donbass, y compris à Marioupol, qui est occupée quelques semaines au printemps 2014 avant d’être libérée par les forces ukrainiennes. Des combats font quelques morts dans la ville et la mairie est incendiée par les séparatistes. En janvier 2015, un bombardement en banlieue nord-est de la ville tue une trentaine de personnes. Dans les années qui suivent, Marioupol ne se trouve qu’à quinze kilomètres de la ligne de contact qui sépare la république séparatiste de Donetsk de la région administrée par l’Ukraine, théâtre de huit ans de combats meurtriers. Des bombardements ont lieu quotidiennement le long de cette ligne dans un conflit qui a fait près de 14 000 morts avant l’invasion du 24 février 2022.

Dès le début de l’invasion russe de 2022, Marioupol a en effet constitué un objectif stratégique pour la Russie

Malgré la guerre, l’administration fait de réels efforts de modernisation à Marioupol, notamment grâce aux ressources de l’oligarque Rinat Akhmetov. La place de la Liberté et de la Paix est entièrement refaite, avec des sculptures, des fresques, et un éclairage qui lui vaudra même un prix international. Dans Marioupol occupée, elle est rebaptisée place Lénine, et c’est désormais le drapeau russe qui flotte au-dessus des fontaines.

Marioupol est aujourd’hui devenue emblématique de l’attaque menée par la Russie contre l’Ukraine…

Dès le début de l’invasion russe de 2022, Marioupol a en effet constitué un objectif stratégique pour la Russie, qui cherche à contrôler l’ensemble du Donbass mais également à faire la jonction entre cette région et celle de Kherson, à l’ouest, reliée à la Crimée par un isthme. La ville est bombardée par l’armée russe pendant toute la durée du siège – on se souvient des images du théâtre d’art dramatique dévasté – jusqu’à ce que les derniers soldats retranchés dans les souterrains de l’usine Azovstal se constituent prisonniers le 17 mai 2022. Détruite à plus de 90 % et occupée par la Russie, avec un nombre de morts estimé à plusieurs milliers, voire dizaines de milliers et des tombes à perte de vue dans les banlieues de la ville, Marioupol devient une ville martyre. Dès le 6 mars, elle est décrétée « ville héros » par le gouvernement. Les habitants de Marioupol, réfugiés dans de nombreuses villes du pays, dont Zaporijjia à 200 kilomètres au nord-ouest, cherchent toutefois à garder vivant et à promouvoir l’esprit et la culture de leur ville. Une exposition intitulée « Marioupol : art vs guerre » vient par exemple d’être inaugurée à Kiev.

Quel était votre endroit préféré à Marioupol ?

Le parc du bord de mer, situé sur les hauteurs de la ville. Dans mon souvenir, c’est un endroit d’où on voit toutes les facettes de Marioupol : en face, la mer, qui s’étend à perte de vue, et une jetée moderne, inaugurée il y a à peine un an. À l’ouest, le port commercial. À l’est, Azovstal qui se dresse sur le front de mer. Et en contrebas, derrière un sanatorium abandonné, les voies ferrées qui longent la plage et relient Marioupol au reste de l’Ukraine. À l’entrée du parc, il y a des monuments en mémoire de la Seconde Guerre mondiale puis une longue allée arborée qui mène à un point de vue où l’on peut se prendre en photo devant des lettres géantes en 3D : яY марiуполь. « J’ Y Marioupol. » Avant la guerre, en contrebas, sur la jetée, des centaines de personnes venaient se promener, profiter de l’air marin, des installations sonores et des guinguettes. Cette jetée, à l’image de Marioupol, c’était un endroit de vie. 

 

Propos recueillis par LOU HÉLIOT

 

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