Depuis son déclenchement en avril 2014, le conflit russo-ukrainien se caractérise par un emploi massif de l’information comme arme pour diaboliser l’adversaire. Au même titre que des bataillons de volontaires comme Aïdar, le régiment Azov a été la cible privilégiée de la propagande russe, qui le désigne comme un « bataillon de représailles néonazi ». Si la Russie se garde bien d’appliquer ces mêmes considérations à ses propres unités combattantes – la compagnie de sécurité privée Wagner et le bataillon de volontaires Rusich, tous deux engagés en Ukraine, ne cachent pourtant guère leur adhésion à l’idéologie nationale-socialiste –, elle s’est malgré tout employée à faire du régiment Azov le point névralgique du révisionnisme politique et historique qu’elle brandit contre l’Ukraine. Il ne s’agissait donc pas pour la Russie de neutraliser une simple force lui faisant face avec défiance, mais bien d’éradiquer la némésis maléfique d’un empire renaissant.

Ayant gagné le respect d’une grande partie de la nation, le régiment tend à s’imposer comme une force d’élite investie dans la défense du pays

L’histoire du régiment Azov débute bien avant février 2022 et la tragédie du siège de l’usine Azovstal à Marioupol. C’est en mars 2014 que se crée spontanément un groupe de volontaires : le Corps noir, ancêtre du régiment Azov. Dépêchés en urgence dans l’est de l’Ukraine, ces quelque 200 hommes aux armements disparates opposent dans les premières heures du conflit une résistance efficace aux tentatives sécessionnistes de certains agitateurs prorusses à Kharkiv. Déployé ensuite pour prévenir l’avancée des milices séparatistes dans le Donbass, le Corps noir parvient à reprendre en mai 2014 la ville portuaire de Marioupol, un objectif de taille dans les prétentions stratégiques des séparatistes. Inattendue, cette victoire propulse le groupe au rang des meilleures unités engagées dans la défense du territoire. Devenu indispensable aux yeux d’un État ukrainien en mal de forces expérimentées, le Corps noir – répondant désormais au nom de la mer d’« Azov » – intègre la Garde nationale le 17 septembre 2014. Libérée et à présent liée au régiment par le sang versé pour sa défense, la ville de Marioupol devient son quartier général où il parade chaque année. Ayant gagné le respect d’une grande partie de la nation, le régiment tend à s’imposer comme une force d’élite investie dans la défense du pays.

Le Corps noir est effectivement constitué au départ de militants issus de la droite la plus radicale et xénophobe ukrainienne au milieu des années 2000

Cette métamorphose ne doit cependant pas faire oublier ses ascendances polémiques. Le Corps noir est effectivement constitué au départ de militants issus de la droite la plus radicale et xénophobe ukrainienne au milieu des années 2000 : l’Assemblée sociale-nationale et patriote d’Ukraine, dont Andriy Biletsky, le premier commandant du régiment Azov, fut le dirigeant. Par ailleurs, le régiment entretient toujours une mystique radicale, ne serait-ce que par ses symboles reposant sur une esthétique aussi troublante que provocatrice, composée essentiellement d’éléments néopaïens et occultistes d’inspiration germanique pour ne pas dire, selon les cas, néonazie.

Malgré un contexte où s’entrechoquent les mémoires et où se rouvrent les cicatrices horrifiques du passé, Azov n’est cependant plus l’entité sulfureuse qu’il était jadis. Le régiment représente aujourd’hui une force combattante diversifiée et multiethnique. Une grande partie de ses soldats ne partagent pas les idéologies des structures politiques lui étant affiliées. Aussi radical qu’il puisse être par rapport aux autres versants de cette tendance politique, son nationalisme se confond d’abord avec l’esprit de résistance d’un peuple luttant pour sa souveraineté. Le brouillard des combats ne saurait effacer totalement le doute, mais pour les Ukrainiens, Azov, indissociable du destin de Marioupol, fait désormais partie du panthéon. 

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